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La polio, le handicap, les enfants et moi

Le handicap est une situation difficile à vivre. Parfois, je pense avoir réussi à me dominer, à surmonter mon complexe, qu’une situation réussie toujours à me rendre malheureux. Je me suis toujours interrogé sur les raisons du manque d’informations sur la situation de handicap. Pourquoi les autres, surtout les enfants et quelques fois les grandes personnes, voient en la personne handicapée un être « bizarre », un être différent ? La perception des autres sur ma situation de handicap a toujours été une préoccupation personnelle. La réponse à cette préoccupation est pourtant toute simple : parce qu’ils ne savent pas, parce qu’ils ont grandi dans l’ignorance. Et, par expérience, j’ai cette impression que les informations sur les risques, comme la polio, y est pour beaucoup, car ce n’est pas encore ancré dans la cervelle cette maxime selon laquelle toute personne est considérée comme un potentiel handicapé.

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Moi-même, tchakounte kemayou, himself. Crédit photo : Matango

Personne en situation de handicap, j’ai toujours été confronté aux questions du genre : « qu’est-ce qui t’a rendu comme ça ? », « As-tu eu un accident ? », « Étais-tu malade ? ». Mais, ce qui m’étonne justement, c’est que ces questions ne viennent pas des adultes, mais des enfants. Je dis bien des enfants, même pas des adolescents, mais des enfants, des tout-petits, j’insiste. Oui, les enfants sont trop curieux. Il y en qui, pour la première fois qu’ils voient une personne marcher à l’aide d’une canne ou d’une béquille, ils prennent peur et fuient pour se réfugier dans les bras de leurs protégés. Ce sont surtout les enfants de moins de 2 ans. Par contre, il y en a qui me regardent longuement, me fixent sans dire mot au point de perdre le contrôle et ne me quittent pas des yeux. Il y a parmi eux les plus courageux qui s’approchent quand même et me disent sans se soucier de ma réaction : « ça va? », « Tu as mal ? ». Ce sont des enfants de 3 à 5 ans. Ce n’est pas tout. Il y en a encore qui, étant sur ses gardes, se méfient, me regardent, m’approchent avec prudence, me touchent, me tâtent pour se rassurer de je ne sais quoi. J’imagine sûrement qu’ils se posent beaucoup de questions et veulent justement savoir pourquoi je suis si différent des autres. Ici, ce sont des enfants de 6 ou 7 ans, voire 8 ans. Je suis convaincu que tous ces gamins aimeraient savoir une seule chose : « Qui est cette personne devant moi ?« , « Comment et pourquoi est-elle dans une telle situation ?« , « Que lui est-il arrivé ?« .

Rassurez-vous, moi-même, je n’étais pas différent de ces enfants qui ont pleine d’interrogations dans la tête. Pour la petite histoire, je me souviens de ma première conversation avec un médecin, prêtre canadien, au Centre de réhabilitation des personnes handicapées à Etoug-Ebe à Yaoundé. Mes premières questions à ce médecin qui a signé mon premier certificat d’invalidité lorsque j’avais 6 ans était : « Docteur, pourquoi suis-je handicapé ?« , « Pourquoi suis-je différent des autres ?« , « Pourquoi je ne peux pas marcher, courir et jouer comme mes amis au quartier ?« . C’était la première fois que je parlais avec un Blanc. En me fixant d’un regard rassurant, sa réponse laconique était simple et sans équivoque en un seul mot : « Polio« .

J’ai fouillé dans ma tête de gamin pour savoir ce que ce gros mot que j’entendais pour la première fois voulait dire. Comme s’il s’y attendait, il anticipe en disant : « Ne t’en fais pas mon garçon. Tu le sauras quand tu seras grand. Et le jour où tu le sauras n’hésite pas à informer les autres enfants, surtout les parents qui ne le savent pas. L’ignorance est un péché. » Sur ce, je me suis rappelé de cette boutade de ma feu mère lorsque je la harcelait chaque fois avec ces mêmes interrogations : « Tu ne peux pas encore comprendre« .

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Lancement de la vaccination locale contre la polio dans la Région du Centre.

Quel que soit les circonstances, ces paroles restent encore et toujours gravées dans ma mémoire comme si je les avais entendues hier. Tout simplement parce que je me rappelle toujours de cette scène lorsque j’observe les réactions d’un enfant qui me regarde en me fixant longuement. Je peux, en ce moment là, savoir si cet enfant voit une personne handicapée pour la première fois ou non. Il faut néanmoins le préciser, l’enfant qui est habitué à la présence d’une personne handicapée ne craint plus rien, ne la fuit pas. Du coup, je me pose la question de savoir comment peut-on apprendre à un enfant de moins de deux ans qu’il ne faut pas fuir une personne handicapée ? Quelle est la méthode didactique qui sied à un enfant de cet âge ? La seule solution, à mon sens, c’est de les mettre toujours en contact avec une personne handicapée. Mais, là n’est pas mon souci. Ma préoccupation la plus importante est celle de l’ignorance des adultes. Cette situation est plus pathétique parce que c’est elle qui affecte les enfants et commande ces types de réactions que je vois chaque jour et qui me sidèrent. C’est une situation perplexe et difficile à comprendre, mais telle est la réalité. Malheureusement.  

Savoir que tout être humain est un potentiel handicapé n’est pas un signe de fatalité, mais plutôt un instinct de survie qui suscite des attitudes de prévention, est si difficile à comprendre que ça ? Je n’en sais rien, je m’interroge juste. Et qui dit prévention, dit également éducation, information. Combien d’adultes ont ce credo, ce principe comme maxime ? Rare. Malheureusement ! Si un tel constat est alarmant, imaginons un seul instant la calamité, si c’en est une, du nombre d’enfants victimes de l’ignorance de leurs parents à la vue d’une personne handicapée ? Est-ce que c’est de leur faute s’ils fuient ou restent prudents ? Je ne le pense pas non plus. La diffusion de l’information aux adultes, pas seulement aux parents, la sensibilisation sur les risques de devenir un handicapé, reste pour moi comme un sacerdoce.

La polio, en dehors des accidents de tout genre et autres, est donc curieusement ce seul risque que les adultes ignorent. Pour le moment, leur seul argument a toujours été « mes ancêtres, mes grands-parents, mes parents n’ont jamais été vaccinés. Et ils n’ont jamais été malades. Pourquoi je dois vacciner mes enfants ?« . Les plus ingénieux vont même jusqu’à dire « Pourquoi vous venez nous imposer les choses des Blancs ?« . Pire encore : « Pourquoi vous voulez tuer les Africains, les Noires ?« , « Foutez-nous le camp avec vos vaccins des Blancs« .

Ma seule réponse a été des questions qui, jusqu’ici, n’ont toujours pas trouvé de réponses : « Tes ancêtres, tes grands-parents et tes parents ont connu le lait de vache que tu achètes pour nourrir tes enfants ? Tes parents t’ont-ils nourri avec le lait de vache ? N’est-ce pas ce sont les Blancs qui te conseillent tous les jours de nourrir tes enfants avec le lait maternel ? Pourquoi, pour la nutrition de tes enfants, tu choisis volontairement d’aller payer à prix d’or le lait de vache, qui est fabriqué dans les industries par les Blancs que tu accuses, qui peut comporter des risques pour la santé de tes enfants, alors que le lait maternel est gratuit, de bonne qualité, ne comporte aucun risque ? Si les Blancs décident de tuer tes enfants ils peuvent passer par le lait pour bébé qu’ils fabriquent dans leurs industries. Ne le sais-tu pas ? »

Tenez-vous tranquille, ce type de parents ne manquent pas du répondant. La réponse à toutes ces questions a toujours été : « Nous sommes occupés. Est-ce qu’on a alors le choix ?« . La réplique que je leur sers est également toute simple : « N’accuse donc pas le Blanc pour ta paresse au lieu de sauver tes enfants contre les risques qu’ils courent à cause de toi, de ton ignorance, de ton refus volontaire de sauver la vie  »

A défaut de nourrir l’opinion des infos de nature à affecter la santé de la population, il y a surtout la nécessité d’expliquer aux adultes ce que polio veut dire. Cette nécessité d’information, j’allais dire d’éducation, passe obligatoirement par l’importance qu’il y a pour chaque individu d’écouter, non pas le cœur, mais le raisonnement qui doit être fondé sur des bonnes informations. C’est dans cette logique que se base la campagne de vaccination contre la polio à laquelle j’associe mon expertise de blogueur.

Depuis que je suis blogueur, j’ai toujours été sensible aux campagnes de vaccination contre la polio. Toujours. Seul le malade, seule la personne en situation de handicap, seule la victime d’une polio connaît la souffrance qu’il endure au quotidien à cause d’un refus volontaire nourri par l’ignorance. C’est la raison pour laquelle je me joins toujours aux campagnes de vaccination sans hésitation.

La délégation régionale de la santé publique du Centre lance du 18 au 20 septembre et du 9 au 11 octobre 2020, une campagne de vaccination pour les enfants de cette région. Je reviendrais avec un article pour donner les détails de cette maladie qu’est la polio qui a fait de moi une personne handicapée. Sans complexe.

Mon leitmotiv : vacciner toujours vos enfants contre la Polio.

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Auteur·e

tkcyves

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