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« Société offshore » en 5 étapes pour les nuls

A la lecture du condensé précédent, un peu ramassé, sur les « Panama papers », il convient donc de dire qu’il s’agit non moins d’une fuite de documents issus des serveurs d’un cabinet financier panaméen Mossack Fonseca du non moins célèbre Ramón Fonseca Mora, un proche du président Panaméen Juan Carlos Varela. A première vue, ce cabinet a donc une réputation dans ce domaine de l’offshoring bien qu’il existe aussi d’autres cabinets concurrents comme Morgan & Morgan. Ses activités sont donc exclusivement consacrées à la création des sociétés dites « offshore ». De quoi s’agit-il exactement ? Quel est le mode de fonctionnement de ces types de société ?

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1- Société offshore : de quoi s’agit-il ?

Le quotidien Le Monde, l’un des 109 médias faisant partie du consortium américain ICIJ, définit une société offshore comme suit : « Littéralement, « offshore » signifie « extraterritorial ». Une société offshore est enregistrée dans un pays non pour y exercer une activités mais pour disposer d’une boîte à lettres – souvent pour profiter des avantages fiscaux ou réglementaires du paradis fiscal choisi ».

En français facile, « extraterritorial » signifie « qui a lieu ou qui est en rapport avec quelque chose en dehors d’un territoire« . Pour parler d’une entreprise, on dira que celle-ci est une société offshore lorsqu’elle est installée dans un autre territoire (pays) différent de celui du résident du propriétaire Schématiquement, on peut le démontrer de la façon suivante : le propriétaire d’une société (A) installée dans un pays (X) où l’impôt est trop élevé, peut créer une autre société (B) vers un autre pays (Y) où l’impôt est moins élevé que dans (X). Ainsi, la création de la société (B) peut être considérée comme une « délocalisation ». Celle-ci est définie comme le transfert d’une partie des activités de la société (A) du pays (X) vers le pays (Y) afin d‘optimiser le profit grâce au faible coût du taux d’imposition en vigueur dans ce pays selon la loi fiscale.

La société (B) est appelée « société offshore » parce qu’elle est domiciliée dans un autre pays ou territoire différent de celui du propriétaire. Elle joue le rôle de partenaire économique et financier de la société (A). Le pays (Y) où est implantée la société (B) est appelé « paradis fiscal » à cause de son faible taux d’imposition par rapport au pays (X).

2- Quels peuvent être les intérêts, pour un entrepreneur, de créer une société (B) dans un autre pays (Y) totalement étranger ?

La définition du quotidien français cité plus haut nous donne déjà un aperçu de la réponse comme suit : on crée une société offshore « pour profiter des avantages fiscaux ou réglementaires ». En d’autres termes, une société offshore permet surtout de bénéficier d’une optimisation fiscale. En définitive, les pays qui accordent des avantages fiscaux comme : faible taux d’imposition, absence d’exigence de rigueur dans la comptabilité, inexistence d’une réglementation rigoureuse, etc. seront sollicités par les entrepreneurs et les détenteurs de capitaux pour y créer une ou des entreprises offshore. L’intérêt est donc, d’emblée, purement économique.

D’où le concept de « délocalisation », cher aux multinationales. La délocalisation se justifie donc par les avantages liés au faible coût du taux d’imposition (Panama, Îles Vierges, etc), mais aussi par les avantages liés aux faibles coûts du salariat ou de la main d’œuvre (Chine).

3– Comment une société offshore peut-elle garantir des avantages fiscaux au point d’attirer les détenteurs de capitaux ?

Pour répondre à cette question, il suffit de démontrer le mécanisme ou le mode de fonctionnement d’une société offshore. Je vous livre intégralement ici une explication de l’économiste Camerounais Dieudonné Essomba dans l’un de nos échanges sur la question :

Une entreprise de négoce (A) vend les véhicules dans un pays (X) pour 100 Millions de FCFA l’unité, alors que l’usine, située dans un pays (X’), livre à 70 millions chez (A). L’entreprise (A) dégage donc un bénéfice de 30 Millions. Mais, la loi fiscale en vigueur dans le pays (X) veut que l’État prélève la moitié des bénéfices, c’est-à-dire 50%, soit 15 Millions. Le propriétaire de l‘entreprise (A) estime que ce taux d’imposition est excessif.

Il crée donc, dans (Y), un autre pays, une société intermédiaire (B). C’est celle-ci qui achètera dorénavant le véhicule pour 70 Millions, pour la revendre à 95 millions à (A). Cette société (B) dégage ainsi un bénéfice de 25 Millions. Comme le taux d’impôt chez (Y) n’est que de 10%, la société intermédiaire (B) va payer seulement 2,5 Millions au fisc.

4La création d’une société offshore est-elle légalement autorisée dans les pays (X) ?

Difficile de donner une réponse définitive, car elle varie en fonction de la loi fiscale de chaque pays (X) c’est-à-dire là où l’entreprise est implantée ou celui où elle exerce ses activités économiques et commerciales. Mais, à priori, la création d’une société offshore n’est pas illégale. En général, elle n’est pas interdit dans un cadre strictement économique. Pour preuve : la plupart des grandes multinationales, que ce soit en Afrique ou partout ailleurs, à l’instar de Google, ont des domiciles extraterritoriaux et on les trouve implanté partout. En fait, leur territoire n’est pas limité. D’où le concept de extraterritorialité. En ce sens, le Pr de droit fiscal à l’Université de Lausanne Yves Noël précise dans une interview que la seule condition qui détermine la légalité d’une société offshore c’est qu’elle soit « déclarée au fisc du pays de résidence de son détenteur et que des impôts sont payés sur les actions de cette société ».

5- Qu’est-ce qui fait alors la dangerosité des sociétés offshore pour qu’on en parle tant ?

La réponse est simple : la dangerosité des sociétés offshore est liée au fait qu’elles peuvent être utilisées, non pour des fins économiques mais pour des intérêts obscures : évasion fiscales et blanchiment d’argent. La société offshore est alors considérée comme une société écran. Une société écran est celle qui dissimule l’identité de son véritable propriétaire en utilisant ce que les juristes appellent des « prêtes-noms » qui signifie « faux nom » ou encore en utilisant les « actions au porteur » qui signifie « nom inexistant » ou « anonyme ».

Pour bien comprendre leur dangerosité, voici deux exemples explicites :

1- Évasion fiscale :

Pour revenir à la démonstration ci-dessus, la société de négoce (A) qui achète la voiture à cette société (B) pour 95 Millions, la revendra à 100 Millions et encaissera donc un bénéfice de 5Millions. Comme ce bénéfice est taxé chez (X) à 50%, cela donne un impôt de 2,5 Millions. La différence est donc visible : la démarche consistant à vendre directement le véhicule entraîne un impôt de 15 Millions à verser au trésor du pays (X). A contrario, la démarche indirecte donne un impôt global de 5 Millions, répartis entre le pays (X) et le pays (Y).

2- Blanchiment d’argent :

Ce modèle est plus simple que le précédent. Dans un pays (X), un individu a beaucoup d’argent issus des trafics illégaux, d’activités illicites comme la drogue, les détournement de fonds, la corruption, etc. Il souhaite alors envoyer le magot dans un autre pays (Y) sans attirer l’attention. Il va donc créer ou s’associer à une entreprise d’apparence respectable qui l’expédie vers (Y) comme si c’était ses bénéfices.

Question subsidiaire en guise de conclusion :

Quelle leçon peut-on en tirer ?

À la suite de ces deux billets dont l’objectif était d’exposer les subtilités de la fiscalité à travers le concept de « société offshore », il apparaît, à première vue que ces sociétés ne posent pas de problèmes en soi. C’est à partir du moment où elles sont considérées comme des sociétés écran que la question de l’éthique fiscale se pose. Sous le plan éthique, ces pratiques d’évasion fiscale, par exemple, sont juridiquement illégales pour la simple raison que cela est considéré comme un abus de droit. Par contre, économiquement légale, car, on utilise les failles du système (niches fiscales ou régime dérogatoire, etc.) dans le but de diminuer considérablement le montant de l’imposition. En définitive, toutes les multinationales, que ce soit en Afrique ou ailleurs, fonctionnent sous ce système offshoring qui servent aussi de société écran. La question lancinante est donc la suivante : les multinationales peuvent-elles se passer du système offshoring ? Sinon, pourquoi faire de l’épiphénomène « Panama papers », un tapage médiatique assourdissant ?

La réponse à cette question dans le billet suivant intitulé : « Panama papers : une cabale trompe l’œil ? »

Tchakounté Kémayou 

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Auteur·e

tkcyves

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