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Voici pourquoi les Camerounais ont déserté les salles de cinéma (1/2)

Dans la matinée du mardi 14 juin 2016, tranquillement assis sous ma véranda pour un petit déjeuner composé de beignets-bouillie-haricots, ma voisine de quartier, Russine, jeune étudiante à l’Institut des Beaux-arts (IBA) de Nkongsamba m’interrompe et lance subitement un cri strident semblable au son suraigu propre aux femmes au risque de me faire avaler de travers : « Bolloré est au Cameroun Wéééééé !!! ». J’ai d’abord cru à un recrutement qu’elle a réussi à décrocher dans l’un des studios de la multinationale Vivendi. Que Nenni. La pauvre était juste excitée de voir enfin une salle de cinéma digne de ce nom au Cameroun à l’initiative de l’homme d’affaires français le plus puissant au Cameroun et en Afrique : Vincent Bolloré. Il fallait être là pour voir comment la joie envahissait cette jeune demoiselle dont le cinéma est devenu une passion. À la question de savoir si Vincent Bolloré est son nouveau prince charmant, j’ai juste eu le temps de constater, en me retournant pour bien écouter sa réponse, qu’elle me toisait.

Cérémonie d'inauguration le mardi 14 juin 2016/Image : CanalOlympia
Cérémonie d’inauguration le mardi 14 juin 2016/Image : CanalOlympia

Comme si elle n’avait pas fini de me de me gâcher la journée, Russine revient une fois de plus à la charge, pendant que j’étais en train de siroter mon feuillons télévisé « La Reine Blanche » diffusé tous les mardis sur la chaîne privée Canal 2 Internationale,  troubler ma tranquillité et me tourmenter encore avec cette histoire de Bolloré : « Waouh ! Une salle de cinéma 3D ! Merci Bolloré. Merci papa. Honte au gouvernement camerounais qui ne veut rien faire pour nous ». Moi qui croyais avoir imagé ce pour quoi elle jubilait, je retins mon souffle. Elle était loin d’imaginer cette réaction de ma part. Russie, surprise que je sois si indifférent à cette « merveilleuse nouvelle », a vite compris qu’elle avait raté un épisode et qu’elle a manqué là, une occasion de se taire. En tant que nouvelle étudiante, Russie se méfie trop de quelques petits détails qui viendraient à échapper à sa petite cervelle. Elle a tout de suite compris que son enthousiasme n’était juste qu’éphémère. Intelligente qu’elle est, elle commença à déchanter et l’heure était arrivée, pour moi, de lui donner quelques leçons magistrales sur la situation cinéma camerounais depuis l’indépendance en 1960.

Comme un cours magistral ne ressemble à rien sans un support, je me limiterais ici aux résultats d’un mémoire de recherche publié en 2006 intitulé « Les écrans noirs du cinéma africain. Enjeux de la coopération culturelle ». C’est un mémoire qui, après qu’on l’ai lu minutieusement, donne, sans prétention aucune, la réelle situation de l’industrie cinématographique, si elle existe, au Cameroun. Évidemment, je ne pouvais être que perplexe devant l’extase de Russine, devant cette ignorance qui ne m’a pas surpris, mais, qui me donne l’occasion, à travers cette série de deux articles, de dire que CanalOlympia, nouvelle et seule salle de cinéma construit par le Groupe Bolloré, ne comblera malheureusement pas des attentes. J’ai donc profité de cette actualité pour vous présenter l’économie de ce mémoire qui n’est pas disponible sur internet, mais qu’on peut avoir quelques grandes lignes à travers l’article de Florent Coulon intitulé « Une histoire du cinéma camerounais. Cheminement vers l’indépendance de la production ». Mais, avant d’y arriver, quelques souvenirs de cinéphile que je garde toujours dans ma mémoire me viennent.

Salle de cinéma : un souvenir d’enfance

En matière de salle de cinéma, le pays est pratiquement à construire. Pour l’histoire, le Cameroun disposait déjà de 32, je dis bien 32 salles de cinéma au cours des années 1970-1980. Pendant ma jeunesse, j’ai connu des salles mythiques de Douala comme Le Wouri, Le Grand Canyon, Cinéma ABC, Cinéma Omnisport, Le Concorde, Le Paradis, Le Berlyse, etc., dont la capacité moyenne, était de 1000 places, pour ne citer que les salles les plus populaires de la capitale économique. Nul doute que ces salles ont marqué un pan important dans l’histoire du Cameroun. Elles ont aussi et surtout été des lieux de prédilection où beaucoup de citadins ont passé des moments forts inoubliables d’émotions. L’un des premiers films que j’ai vus à l’âge de 10 ans est : « Haut-Commissariat de la République française au Cameroun » diffusé par ce qu’on appelait « Le Centre Culturel Français » (CCF) de Douala. C’est plus tard que j’ai appris qu’il est le premier film à être tourné sur le sol camerounais. C’était en 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le cinéma et les salles de ciné du Cameroun font partie de mon histoire.

Entre le 12 et le 19 janvier 2009, les dernières salles qui résistaient encore à la dégringolade finissent par céder à la mort définitive. La dernière salle de ciné à avoir fermé définitivement ses portes à Douala fut la célèbre Le Wouri, du nom du fleuve qui traverse la ville. La dégringolade, ce virus malveillant, a aussi attaqué les redoutables Abbia et L’Empire à Yaoundé et à Bafoussam respectivement. Depuis cette année-là, on ne parle plus de cinéma au Cameroun. Et j’avais vécu cet épisode comme un arrêt cardiaque de la culture cinématographique.

Le mauvais alibi : l’apparition de la télévision

Un tour dans les rues de Douala à travers un vox pop, c’est la même ritournelle : la télé est venue gâter le business des hommes d’affaires qui avaient lourdement investi dans la construction des salles de cinéma. En effet, oui, pourrait-on conclure avec plus d’emphase comme pour se convaincre après avoir trouvé un alibi. Vraisemblablement, l’avènement de la télé camerounaise qui a fait son apparition en 1985 est venu troubler les habitudes des fans de cinéma. Cet alibi de l’apparition de la télévision nationale a pour précepte de donner comme argument que les salles se désemplissaient parce que les Camerounais avaient trouvé une belle occasion de regarder les films (feuilleton, téléfilm, etc.) à la maison ou chez le voisin qui avait la chance de posséder un petit écran. Cet argument est risible pour deux raisons au moins :

— il n’y a qu’à observer comment les salles de spectacles, faisant office de salles de cinéma, remplissent lorsque les réalisateurs camerounais projettent leur avant-première sur vidéoprojecteurs ;

— les jeunes de Douala manquent de plus en plus de loisirs pour se détendre lorsqu’ils font des sorties galantes en amoureux, par exemple. Car, il faut aussi le préciser, les salles de ciné étaient l’un des lieux de prédilection pour la détente.

Le premier feuilleton camerounais qui a connu beaucoup de succès, L’Orphelin, sans oublier les feuilletons brésiliens, se voit porter la responsabilité de la mort des salles de cinéma. C’est vrai que les salles ne faisaient plus leur plein d’œuf d’antan, mais le problème est ailleurs. Avant d’y arriver, faisons un tour dans le fonctionnement de la production, qui permettra à beaucoup d’entre vous comme à Russine, de mieux établir les responsabilités. Ce développement fera l’objet de mon prochain cours magistral.

Tchakounté Kémayou

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Commentaires

Yannick LE TENO
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C'est toujours émouvant avec un brin de nostalgie quand je lis certains articles comme celui-ci.. j'ai vécu à Douala vers 1976-78 et je me souviens de ces nombreux après midi passés au Wouri étant donné que l'on avait pas école l'après midi.