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Le sécessionnisme et la remise en cause de la République du Cameroun

Le sécessionnisme, loin d’être une banalité, n’est pas révolu non plus. Apparu vers les années 1990, il est maintenant d’actualité au Cameroun depuis octobre 2016. Le pays est donc secoué par une crise qui paralyse les deux régions dites anglophones : le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. La genèse de ce malaise remonte dans l’histoire. Celle-ci nous renseigne à suffisance sur la nature des relations que ces populations d’expression anglaise ont toujours entretenu avec leurs frères et sœurs d’expression française. Elles ont toujours été très tendues et marquées par des stigmatisations à la fois anecdotiques et drôles. Cette histoire est donc riche en rapports conflictuels du vivre-ensemble. Du coup, la vision d’unité nationale prônée par Paul Biya est devenue un slogan creux. Il sera donc question ici de répondre à la question de savoir comment l’unité nationale a nourri les élans sécessionnistes.

Les jeunes en première ligne de bataille pour réclamer le retour au fédéralisme ou au sécessionnisme / Crédit photo : Facebook

La dernière actualité sur la crise anglophone depuis octobre 2016

Depuis le déroulement de la crise en octobre 2016, les mouvements de protestations ont été ponctués par les ghost town. Devant l’impasse d’une solution par la négociation, les autorités se sont mises en position de faiblesse face aux leaders anglophones infaillibles. Pour se donner bonne conscience, elles ont trouvé l’astuce magique : mettre ces leaders aux arrêts et les envoyer devant le juge. Quel est l’acte qui leur est reproché ? Hostilité contre la patrie, rébellion ou coaction d’actes terroristes. Pendant que l’opinion nationale et internationale ont les yeux rivés au tribunal militaire de Yaoundé, quelques communiqués provenant de la présidence de la république surgissent incognito comme pour décrisper l’atmosphère.

Il s’avèrerait que face à cet échec des négociations avec les leaders anglophones, le challenge consistait maintenant à déléguer quelques pontes du pouvoir de Yaoundé auprès de la diaspora. C’est ainsi qu’en fin juillet 2017, les communiqués annoncent donc la formation des délégations pour les États-Unis, la Belgique, le Canada, la Grande Bretagne et l’Afrique du Sud.

L’objectif de ces missions kamikazes était d’expliquer la position du gouvernement et convaincre la diaspora de lâcher prise. Il semblerait, selon certaines hypothèses, que cette diaspora était la cheville ouvrière de la crise. L’intention avérée de la délégation gouvernementale était alors de couper l’herbe sous les pieds des manifestants pour faire échouer le ghost town. La décision du gouvernement d’aller dialoguer avec la diaspora n’était pas anodine.

Malheureusement, l’accueil des envoyés spéciaux du gouvernement a été froid. On a alors assisté à une fin de non recevoir émaillée de violences et des échauffourées. A l’occasion, des emblèmes nationaux comme le drapeau camerounais hissé dans les ambassades ont été pris à partie par des flammes. Ces drapeaux brûlés ont carrément été remplacés par ceux dits d’Ambazonie. Certains ont d’ailleurs vite fait de dire que le Cameroun a été attaqué par les « étrangers ». Comment en est-on arrivé à de telles dérives ?

La décentralisation, le fédéralisme, le sécessionnisme et ses acteurs

C’est bien là où nous en sommes aujourd’hui : la haine viscérale. Celle-ci s’est installée au point où on a presque l’impression qu’il existe deux camps. C’est-à-dire deux communautés linguistiques qui se battent et se regardent maintenant en chien de faïence. Il faut qu’on se comprenne très bien. La crise anglophone n’oppose pas deux communautés linguistiques : anglophones et francophones. C’est une crise qui oppose les partisans du fédéralisme contre ceux de la décentralisation d’une part, et les deux derniers contre ceux du sécessionnisme d’autre part. Bien entendu, qu’on soit anglophone ou francophone, c’est possible de se retrouver dans l’un ou l’autre camp.

Cette crise prend sa source en 1961 au moment de la signature des accords de Foumban. Il s’agissait des accords faisant du Cameroun une République Fédérale avec deux États : le Cameroun oriental français et le Cameroun occidental anglais.

Cette distinction avait l’avantage, en son temps, de donner à chaque partie la possibilité d’être administrée selon la forme de gouvernance issue de la culture spécifique de l’État colonial respectif. Ainsi, tandis que le Cameroun oriental français était géré sous le système jacobin, présidentialisme à outrance, le Cameroun occidental anglais fonctionnait selon l’indirect rule, essentiellement parlementariste. Pour que cette cohésion tienne debout, si le président était un francophone (Amadou Ahidjo), alors le vice-président devrait automatiquement être un anglophone (John Ngu Foncha). Ce qui était le cas en 1961 au moment de la signature de ces accords.

Toute rupture de ce contrat poserait problème à long terme. Pourquoi ? A un moment donné, la tyrannie ne pouvait plus supporter ce système fédéraliste. Conçu sur le jacobinisme, le pouvoir de Yaoundé avait du mal à étendre ses tentacules dans les régions anglophones. Il s’avère donc que Amadou Ahidjo, profitant de la supériorité numérique des francophones a organisé le référendum pour supprimer le fédéralisme en 1972.

L’embastillement des anglophones et la loi de la domination de la majorité francophone

Le 3ème et le dernier recensement général de la population du Cameroun par le RGPH a eu lieu en 2005. Selon l’Institut National de la Statistique, la population camerounaise s’est accrue à un rythme annuel de 2,6% entre 2005 et 2010. Le RGPH estime à plus de 23 millions la population camerounais en 2017. La population anglophone représente le 1/6 de la population totale actuelle répartie sur 1/5 du territoire national. Elle est et reste donc minoritaire devant la population francophone. Statistiquement, tout est visiblement établi pour une infériorité numérique de la population anglophone.

C’est un aspect très important qu’on néglige souvent dans l’analyse des relations entretenues par ces deux communautés. Sous le plan macro, la démographie est l’un des fondamentaux de la puissance d’un peuple ou d’une nation. Toute littérature fondée sur une démonstration de la puissance statistique et démographique n’est pas creuse. Il est alors important de souligner qu’une population en situation de supériorité a tendance à adopter des comportements de domination vis-à-vis d’une autre. En retour, celle qui est minoritaire se sentira menacée et trouvera légitime de se défendre. Ainsi, dans la gestion et la gouvernance publique, la supériorité démographique fait des francophones, volontairement ou non, des prioritaires. S’installe donc le sentiment de marginalisation de la population anglophone qui commence en 1972, mais qui prend sa source en 1961.

C’est dans ce contexte que le feu président Ahidjo en profite pour assoir son pouvoir. Il supprime le fédéralisme en 1972 par référendum que d’aucun qualifie de simulacre. En fin limier manipulateur, il a choisi « Unie » à la place de « Fédérale » comme pour dire que dans la République Unie du Cameroun, les anglophones ne perdraient pas leur identité politique et culturelle d’antan. Paul Biya, à son tour, n’est pas allé du dos de la cuillère pour faire pire en 1984. Il enfonce carrément le clou dans la plaie en supprimant le terme « Unie » pour revenir à la République du Cameroun. Ce changement marquait, qu’on le veuille ou pas, le retour à l’État francophone d’avant 1961. Il croyait peut-être jouer au malin en prônant sa politique de l’unité nationale. Et pourtant, c’était là, la goute d’eau qui avait débordé le vase.

L’unité nationale mise à mal par les langues officielles coloniales

Au vue de ce constat sur la supériorité arithmétique, cette domination ne sera pas sans conséquences. Au fait, elle va réguler la vie quotidienne, perturber le vivre-ensemble de ces deux populations.

Nous assistons notamment, au niveau politique, à une inégalité de répartition des prébendes entre la majorité francophone et la minorité anglophone. La ligne politique du « renouveau » du président Biya a pour principale idéologie « l’unité nationale« . Celle-ci a pour point d’encrage la valorisation de la non territorialité des origines ethniques des personnes. En d’autres termes, chaque Camerounais doit se sentir chez lui quelque soit sa ville de résidence. C’est la raison pour laquelle, au niveau de la fonction publique, le personnel de l’État était disséminés à travers tout le territoire national. Belle politique, en somme !

Cette répartition territoriale des fonctionnaires avait donc pour avantage de créer une symbiose entre les camerounais de toutes les origines ethniques et de toutes les tendances culturelles. Cette politique a semblé marché jusqu’au moment où la tendance à la « franconisation » exacerbée de l »administration camerounaise a pris de l’ampleur. Les fonctionnaires francophones, contrairement aux anglophones, affectés dans l’une des deux régions anglophones, ne faisaient aucun effort de s’adapter aux habitudes linguistiques locales. Ce qui n’était pas du goût des paysans anglophones qui ne savaient ni parler, ni lire, ni écrire en français. On a d’ailleurs remarqué, à cet effet, que les fonctionnaires anglophones affectés dans les huit autres régions francophones se débrouillaient à parler français.

Les administrations qui souffraient énormément de ce malaise sont généralement la justice et l’éducation. On assistait à une situation telle que les paysans avaient du mal à s’exprimer devant un juge qui ne savait ni parler ni lire l’anglais. La grève des avocats et des enseignants qui est à l’origine de cette crise a pour principale revendication l’exigence des magistrats et des enseignants anglophones. Cette crise a d’ailleurs permis à l’opinion nationale de constater que l’École Nationale d’Administration et de Magistrature ne comportait pas de section « Common Law ». Autrement dit, les magistrats anglophones recevaient 90% de leurs formations en français. Leur cause a donc été entendue.

Le vent de l’Est au secours du sécessionnisme et des indépendantistes

Pendant les années de braise et à la suite du vent de l’Est, la libéralisation de la scène politique s’imposait. Les partis politiques voient le jour à partir de 1990. Une nouvelle classe politique se met en place. Curieusement, un parti dont la réputation est de prôner la sécession, le Southern Cameroons National Council (SCNC), est créé à Buea en 1993. Paradoxalement, le SCNC avait déclaré ne pas appartenir à un mouvement sécessionniste. Leur objectif, déclare-t-il, est « le « rétablissement du statut d’État et de l’indépendance […] » » du Cameroun. Autrement dit, il réclame le rétablissement de leur droit d’avant les accords de Foumban de 1961. Ce mouvement s’exprime ainsi dans une pétition adressée à Paul Biya publié sur leur page Facebook le 10 février 2012 et intitulée : « Report to Biya Linking SCNC with Boko Haram: SCNC Petition ».

Ce mouvement, malgré sa témérité, reste minoritaire. Les partis d’opposition comme le SDF (Social Democratic Front), né à Bamenda en région anglophone, se montrent virulents sur la scène politique. D’ailleurs, la première élection présidentielle pluraliste depuis l’indépendance de 1993 avait propulsé son leader Ni John Fru Ndi au firmament de la magistrature suprême, selon son état major du QG de campagne. Une victoire qui, une fois revendiquée a été étouffée sur le champ. Son projet politique qui reste le fédéralisme, est incontestablement le plus sollicité par la population. Contrairement aux sécessionnistes qui souhaitent revenir à la situation d’avant 1961, les fédéralistes veulent revivre la situation de 1961-1972. Cependant, avec cette nuance que le nombre d’États fédérés pourraient aller au-delà de deux.

Paul Biya, malgré tout, s’arque-boute sur son « unité nationale

Paul Biya n’entend pas céder à ces pressions et persiste dans sa politique de l’unité nationale. Il reste persuadé de sa logique de l’unité par sa célèbre boutade : »le Cameroun est un et indivisible« . C’était notamment sa réponse donnée à la crise anglophone dans son discours de fin d’année le 31 décembre 2016. Pour lui, la solution reste la décentralisation. C’est un système qui donne une certaine autonomie aux régions. Cela passera notamment par la remise, aux élus locaux, d’une partie du pouvoir central.

Si la crise anglophone a pour objectif de réduire les pouvoirs décisionnels de Yaoundé pour les céder aux élus locaux, il reste fondamental de signaler la mauvaise foi de Yaoundé. Sinon, pourquoi cette décentralisation instituée par la constitution depuis 1996 n’est-elle pas appliquée jusqu’aujourd’hui ? Voici 21 ans déjà que cela dure. Les pourfendeurs de la décentralisation ont donc le droit de penser que la décentralisation est moins contraignante que le fédéralisme. Elle ne peut donc pas être la solution. Cette inertie de Paul Biya durcit le ton des indépendantistes qui ont choisi la violence comme réponse aux envoyés spéciaux de Yaoundé. Ce n’est qu’un secret de polichinelle, l’ONU se serait déjà saisi du dossier. L’assemblée générale des Nations Unies prévue avant la fin de l’année pourrait donc être cruciale.

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Auteur·e

tkcyves

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