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Madame Bovary revient au Cameroun

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Madame Bovary est un roman français du XIXème siècle écrit par Gustave Flaubert. A la surprise générale du monde éducatif, il a été réintroduit au programme des classes de Première des séries A, C et D des lycées d’enseignement général pour le compte de l’année scolaire en cours, 2014-2015. C’est la deuxième réintroduction après celle de 2009-2010. Au delà de sa richesse littéraire qui reste non contestables et non contestée, les raisons éthiques sont au centre des préoccupations des éducateurs et surtout des parents d’élèves. Pourquoi le roman Madame Bovary pose-t-il un problème d’éthique et quelles leçons peut-on tirer de ses multiples retraits et réintroductions au programme scolaire ?

Le contexte historique de l’œuvre

Le trihebdomadaire Aurore-Plus, sous la plume de Linda Mbiapa, s’est inquiété cette semaine à juste titre d’une autre apparition de ce roman français qui continue de susciter des polémiques sur la qualité et le sens des leçons que les élèves et même les lecteurs peuvent tirer de cette œuvre littéraire. Madame Bovary s’inscrit dans la plus pure tradition occidentale qui part de Messaline à la révolution libertaire, hippiques, de mai 68 en passant par la débauche la plus achevée sous Spartacus, les Borgia, avec l’intermède plutôt court des Amazones que les colonnes d’Hercule détruisirent.

Lorsqu’il fut publié en 1856, le roman Madame Bovary fut considéré, déjà à l’époque, comme un ouvrage indécent, pornographique, qui peint mal, selon la société française de 1856, non Madame Bovary, mais la femme française : Madame Bovary est une épouse adultère, une femme à la cuisse légère, une femme qui ne respecte ni son corps, ni son mari, ni l’institution du mariage, une institution sacrée, ni son ménage, ni le code moral social, humain. En cela, oui, c’est vrai, la culture africaine, camerounaise, vomit ce roman. En Afrique, durant les luttes d’indépendances, les patriotes utilisent Madame Bovary comme le symbole de la femme française : légère, adultère, amorale, qui, puisque putride, enfante le colonialisme, l’infamie, le putride. Cette description a d’autant plus de poids que le livre est écrit par un français : Gustave Flaubert, le romancier au mot juste.

La leçon de Gustave Flaubert

1179523982-mme-bovaryL’auteur de Madame Bovary n’est certainement pas un naïf, pas plus que ne l’était Molière ou Balzac. Ce n’est pas un hasard si la pornographie, comme la prostitution, est une institution de la société occidentale, et ce n’est pas non plus un hasard si c’est les milieux gay et rouge qui imposent la mode de ce côté-ci de l’Occident. La femme en Occident justement est conçue et se comprend elle-même comme un foyer d’attraction des regards et d’excitation des pulsions. L’industrie textile n’est pas la seule à se servir de cette conception, le marketing, l’industrie automobile, la publicité dans tous les domaines a cristallisé le travail des designers sur la femme comme image subliminale pour inciter à l’extrême la boulimie dans cette société de la consommation, à l’ère de l’homo-consommantum! Sans l’image qu’on véhicule de la femme en Occident, l’économie s’effondrerait. Au-delà de tout, le CULTE DU CORPS et toute l’industrie qui est construite autour parle assez pour l’idée que l’auteur de Madame Bovary était un prophète, la preuve, il fut persécuté dans son propre pays!

La responsabilité des enseignants : le choc culturel

Ce livre au programme pourrait être plutôt l’occasion d’une révolution culturelle pour notre jeunesse, à condition que nos profs connaissent bien l’histoire de l’Occident et ne voient pas dans ce livre la doxa de la nouvelle éthique ! Il faut savoir que la fiction romanesque est souvent le lieu d’une satire des mœurs du temps, et on ne peut pas dire que notre société ne va pas à la dérive et n’offre pas à voir tous les symptômes de dégénérescence de la femme dont Madame Bovary est la peinture.

L’auteur de Madame Bovary pointe la lune du doigt, il appartient au lecteur de regarder ce qu’on lui montre plutôt qu’autre chose. Le livre peut être mauvais, on ne doit pas moins en apprendre. Après tout, on donna à Michel-Ange un bloc de marbre brut en le croyant impropre à tout usage, mais il en tira une Ange flamboyant, qui orne encore, si je ne me trompe, la Chapelle Sixtine !

On peut certes regretter le choix des autorités éducatives pour certaines œuvres, choix qui prouve notre complexe de dépendance et de colonisé en tous les domaines. Car le Cameroun manque de tout sauf de génie littéraire, et le dernier roman du Camerounais Joe La Conscience, Le monstre au manteau de femme, préfacé par Shanda Tonme,  dont j’ai eu l’honneur de faire la lecture critique avant édition, pourrait bien valoir Madame Bovary, puisque son thème central c’est les mœurs de la société camerounaise contemporaine, actuelle, depuis la corruption institutionnalisée jusqu’au satanisme ambiant en passant, bien sûr, par la débauche et la dégradation de la femme, de la jeune fille chez-nous. Mais il ne fait pas grâce à l’homme, loin s’en faut.

Si donc les autorités ne s’émeuvent pas du tollé que suscite déjà leur choix, ce qui ne m’étonnerait pas au regard du superbe mépris qu’ils ont pour les Camerounais, qu’au moins on s’assure que les enseignants en tireront le meilleur.

Au-delà de la réalité, ce n’est qu’une fiction

La réalité est que ceci est une péripétie que cet ouvrage connaît dans tous les pays : On l’ôte de la circulation aujourd’hui, on le remet en circulation demain – toujours pour envoyer un message politique : en le réintroduisant, le gouvernement, sans être patriote, dit peut-être, en filigrane, ce que les patriotes disent depuis 1945, et inviterait la jeunesse à voir la France sous une certaine… lumière?

A la Jeunesse Camerounaise, nous disons, Madame Bovary est un personnage qui sort de l’imagination d’un homme tourmenté par ses fantasmes sexuels, sa vision de la femme qui lui vient probablement de l’idée que lui en donna sa mère. Madame Bovary n’existe, et n’a jamais existé, que dans l’imaginaire de Flaubert. La femme française n’est ni meilleure, ni pire que la femme, toute femme.

Comme roman, une œuvre d’art, c’est une histoire, une simple histoire. En 1856, on le tenait pour pornographique, publié aujourd’hui en 2014, érotique? Même pas.

Tchakounte Kemayou, Bonaventure Tchucham & Nouk Basomb

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Auteur·e

tkcyves

Commentaires

Fotso Fonkam
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Votre analyse est très lucide. Je me demande toujours si la commission du livre scolaire prend la peine de filtrer ce qu'on fait ingurgiter à nos jeunes compatriotes. Et ce n'est pas seulement en littérature. Il m'est arrivé de relever des fautes graves dans certains ouvrages au programme de francais en classe anglophone (que j'enseigne), mais ces livres-là figurent chaque année dans la liste des manuels.