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Les raisons du boycott des Législatives et Municipales au Cameroun

Le boycott des élections est-il une option efficace en politique en temps de guerre ? Ou encore, quelles sont véritablement les raisons d’un boycott des élections locales alors qu’on a, auparavant, participé à la présidentielle ? Voilà des questions qui soulèvent beaucoup de polémiques et de débats après la décision qu’a prise le parti de Maurice Kamto, le 25 novembre 2019, de boycotter les législatives et les municipales du 9 février 2020 prochain au Cameroun.

Depuis la présidentielle du 7 octobre 2018 où Maurice Kamto, officiellement arrivé en deuxième position après Paul Biya, le boycott des élections locales, longtemps discuté dans l’opinion, est annoncé au moment où celle-ci s’y attendait le moins. Pourquoi cette effervescence autour du boycott du challenger de Paul Biya à la présidentielle de 2018 ? Pourquoi cette décision qui a pourtant surpris désagréablement tous les adversaires du MRC, semble finalement être suivie à travers des subterfuges ?

Le calendrier électoral de l’année 2018 était bien chargé avec trois élections en vue : une présidentielle, des législatives et les municipales. Tous ces rendez-vous se pointaient à l’horizon. Mais la question que tout le monde se posait était celle de savoir comment et pourquoi organiser les élections dans un contexte de guerre civile ? Plusieurs observateurs et des partis politiques pensaient à juste titre qu’il ne saurait y avoir des élections crédibles dans un contexte de guerre où deux régions sont devenues presque invivables.

La marginalisation comme origine de la guerre

Pour rappel, régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO), parties anglophones du pays, sont dans une situation d’insécurité grave. Les groupes armés y mènent une guerre de sécession contre l’armée camerounaise pour se retirer de la République du Cameroun, partie francophone. Cette guerre d’indépendance, prise dans le tourbillon de la guérilla, a commencé depuis le 30 novembre 2017, jour où Paul Biya, dans une brève déclaration à la presse, annonce l’existence d’une « bande de terroristes se réclamant d’un mouvement sécessionnistes ». Cette déclaration intervient surtout après la mort de quatre militaires et de deux policiers. Cette déclaration de Paul Biya avait pour objectif d’annoncer à tous les Camerounais qu’il s’engage à « mettre hors d’état de nuire ces criminels ». Ce qui est considéré comme une déclaration de guerre de Paul Biya aux indépendantistes.

Mais, avant cette déclaration, les deux régions étaient dans une sorte d’insécurité totale à la suite des mouvements de revendications des avocats et des enseignants qui avaient commencé en octobre-novembre 2016. Cette partie anglophone, minoritaire (20% de la population), justifiait son mécontentement en arguant de la marginalisation dont elle serait victime depuis au moins 1961.

Paul Biya choisit l’option de report de ces élections locales

Nous sommes début décembre 2019, donc à la veille d’une année électorale bien chargée. Il est donc incontestable que cette situation de guerre mettra à mal l’organisation des trois scrutins cumulés. Cependant, l’opinion nationale était donc divisée sur l’organisation des élections dans un contexte de guerre civile. Pire encore, il ne s’agit pas seulement d’une guerre de révolution, de contestation du pouvoir établi, mais d’une guerre d’indépendance des deux régions anglophones du Cameroun. Concrètement, cela signifie qu’une quelconque consultation électorale organisée dans cette situation de guerre exclurait automatiquement les régions anglophones. Autrement dit, les populations des deux régions anglophones et minoritaires ne voteront pas contrairement aux populations des huit régions francophones qui iront voter.   

Cependant, du côté du pouvoir, on pense à faire autrement. Organiser les trois élections dans ce contexte sera lourd en termes de contraintes budgétaires où l’Etat camerounais fait face, non seulement à cette guérilla, mais surtout à la lutte contre le terrorisme de Boko Haram qui met la région de l’Extrême-Nord dans une insécurité grandissante depuis 2014. Paul Biya, malgré le jusqu’auboutisme de plusieurs militants de son parti, le RDPC, choisit la solution de la prudence en prorogeant le mandat des députés et des conseillers municipaux. Cela lui a donc permis d’organiser la présidentielle d’octobre 2018 en renvoyant les Législatives et les Municipales pour février 2020.

Conformément à l’article 15 (4) de la Constitution, « en cas de crise grave » le mandat des députés peut être prorogé une infinité de fois… Le juge de la gravité de la crise est le Président de la République…

En revanche, même « en cas de nécessité » (article 170 du Code Electoral), la prorogation du mandat des Conseillers municipaux ne peut excéder 18 mois. Cependant, ce mandat des Conseillers a déjà été prorogé 2 fois : une première fois en 2018 (de 12 mois à compter du 15 octobre 2018) et une deuxième fois en 2019 jusqu’au 29 février 2019 (soit 4 mois et 14 jours), pour un total de 16 mois et demi.

Cabral Libii, Président du parti PCRN

Et le boycott alors ? En quoi est-il justifié pour les élections locales ?

Le 25 novembre 2019, Maurice Kamto appelle au boycott des Municipales et Législatives du 9 février 2020. Cette annonce de boycott intervient surtout après le communiqué du 10 novembre de Paul Biya convoquant le corps électoral pour le 9 février 2020, et surtout à la veille de la clôture des dépôts des dossiers des candidatures. Qu’est-ce qui peut motiver le MRC à prendre une telle décision ? Comme le dit son président national, le MRC obéit à sa fidélité de respect de certains principes au regard du contexte :

En prenant cette décision politique grave, le MRC reste fidèle à lui-même au regard de l’actualité et de la situation générale du pays :

– Fidélité d’abord, à l’idée qu’organiser des élections au Cameroun aujourd’hui, qui plus est des élections locales, sans avoir rétabli la paix dans les régions du NOSO et créé les conditions d’une participation effective des populations des deux régions au libre choix de leurs représentants à l’Assemblée nationale et dans les conseils municipaux, c’est donner le message selon lequel ces populations ne sont pas des Camerounais et, ce faisant, consacrer la partition de fait du pays.

– Fidélité ensuite, à notre exigence constante d’une réforme consensuelle du système électoral avant toutes nouvelles élections au Cameroun, après notre expérience amère du double scrutin de septembre 2013 et de l’élection Présidentielle d’octobre 2018, car avec le système électoral actuel, les mêmes causes produiront inévitablement les mêmes effets, à savoir : fraudes massives, vol des résultats et nouvelle crise post-électorale.

Maurice Kamto, Président du MRC

Curieusement, l’on se rappelle que trois semaines avant, le 30 octobre 2019 précisément, le leader du MRC annonçait en grande pompe la participation de son parti aux élections Législatives et Municipales prochaines.

Cette annonce de boycott est, jusqu’aujourd’hui, interprétée par tous les détracteurs comme une contradiction. Une contradiction liée d’abord au fait que le leader du MRC a été candidat à la présidentielle d’octobre 2018 au moment où la guerre se déroulait au Nord-Ouest et Sud-Ouest. Mieux encore, Maurice Kamto et le MRC avaient conscience que le système électoral, qui fait l’objet des récriminations après la présidentielle d’octobre 2018, n’avait pas changé. Que s’est-il passé entre-temps pour que le MRC change subitement de position et adopte le boycott ?

Le boycott est un acte politique

Quelles peuvent être les mobiles qui fondent l’acte politique ? Ou alors, quelles sont les mobiles qui fondent la décision de Maurice Kamto ? Par le fait que Maurice Kamto ait annoncé au départ sa participation aux élections de février 2020, et s’est rebiffé à la fin, montre bien l’énigme qualifiant cet acte. L’énigme est encore plus grand à partir du moment où on se rend compte que cette décision est lourde de conséquence pour le leader lui-même et son parti le MRC. En effet, la loi électorale en vigueur exige « que tout candidat à une telle élection soit présenté par une formation politique ayant au moins un élu, ou, à défaut, qu’il rassemble au moins 300 signatures de personnalités » pour reprendre Kamto lui-même. Quand on sait que réunir autant de signatures des personnes en majorité des caciques du RDPC, parti au pouvoir, relèverait d’une sinécure. Donc, choisir le boycott comme stratégie n’est rien d’autre qu’un « suicide », comme le disent ses adversaires.

Pour répondre donc à cette question, il faut réussir à dénicher l’énigme cachée derrière cet acte. Au-delà des raisons évoquées par Maurice Kamto lui-même, il est important de savoir que le leader du MRC est un homme politique. Il a, à coup sûr, des mobiles que personne ne saurait maîtriser à part lui-même.

Comprendre absolument la décision ou la démarche d’un acteur politique en jeu ou sur scène nécessite d’être au même niveau d’information que ce dernier. Ce qui n’est pas notre cas ici. Tous, nous ne faisons que supputer. Mais, là où l’analyste politique que je suis, trouve des passerelles d’analyse, c’est dans l’observation de l’attitude des adversaires de Kamto. C’est clair que le candidat RDPC à la Mairie de Douala 4ème peut boire du petit lait avec cette décision, mais les vrais adversaires (du changement) de M. Kamto qui comprennent mieux que nous « sa » décision sont presque tous monter au créneau pour dire que le MRC/Kamto s’est suicidé, il aurait dû rester en course etc. C’est à ce niveau que je relève toute l’intrigue, à savoir, depuis quand le sort politique du MRC/Kamto inquiète tant le régime ? C’est quand on voit cette réaction qu’on comprend que Maurice Kamto sait ce qu’il fait, et le régime aussi d’ailleurs le sait ou tout au moins le soupçonne, d’où sa réaction.

Brice Stéphan Ondigui Avele, politologue

C’est presque un secret de polichinelle de dire que la décision du boycott du MRC et annoncée par Maurice Kamto en a surpris plus d’un, notamment les militants et les sympathisants du parti. La frustration a vraiment été grande quand on sait que beaucoup s’étaient énormément investis dans le dépôt de leurs dossiers. Pendant ce temps et de l’autre côté, je veux dire, chez les adversaires, les militants et les partisans du RDPC, la joie qui semble se dessiner.

L’exemple des Législatives de 1992 où le RDPC, parti au pouvoir, a été mis en minorité après le boycott du SDF, principal parti de l’opposition, est fort révélateur. L’opposition perdait ainsi un contrepoids solide susceptible d’inquiéter le régime. Le MDR, avec ses 6 sièges, a fait alliance avec le RDPC qui n’avait que 88 sièges sur les 180, afin d’avoir une majorité confortable pour gouverner. Il reste fort à parier que le SDF qui avait opté pour le boycott à cette époque aurait fait l’affaire. Aujourd’hui, « les absents ont toujours tort » semble être la maxime, ou plutôt l’épé de Damoclès qui plâne sur les partis politiques à chaque élection. Ainsi, le boycott est considéré comme un acte de suicide, voire de folie.

Quelques spéculations sur les raisons du boycott

En dehors des raisons que le leader du MRC a donné pour justifier le boycott, à savoir la résolution de la crise anglophone et la révision du système électoral, des idées plus ou moins incongrues ont été évoquées et propagées dans l’opinion. Évoquons-en ici quelques-unes.

L’une des raisons évoquées par les détracteurs pour justifier le boycott du MRC est l’incapacité du parti de l’opposition à pouvoir trouver les 10 626 candidatures de conseillers municipaux et les 180 candidatures de députés sur toute l’étendue du territoire. D’autres arguments font prévaloir l’intention du MRC de tenter une insurrection en choisissant la voie de la rue et non celle des urnes. Il y en a même qui, à travers une certaine presse, affirment mordicus que Maurice Kamto a reçu un milliard de FCFA des dignitaires de la région de l’Ouest Bamiléké, région d’origine du leader, en échange du boycott.

Cependant, l’argument qui ne manque pas d’intérêts, c’est le fait de la pression de la communauté internationale sur le régime de Yaoundé pour la résolution de la crise anglophone. La visite des trois missionnaires de l’UA, de la Francophonie et du Commonwealth, vingt-quatre heures après l’annonce du boycott en disent long. Malgré la coïncidence de calendrier, toujours est-il que ces raisons ne restent que de soupçons.

Une vague de boycott s’en est suivie

Ce qui est cependant intéressant dans ce boycott, de Maurice Kamto et du MRC, est qu’à la suite de la déclaration, d’autres partis politiques ont, comme une trainée de poudre, suivi la vague. Contrairement au MRC, ces partis politiques n’ont pas exprimé explicitement le boycott, mais ont formulé un certain nombre de préalables qui restent pour le moins surréalistes et font dire à certains observateurs que leur attitude cache mal une campagne de séduction des électeurs et cela n’a rien à voir avec le boycott. Le boycott du MRC est lourd de signification et plus symbolique pour la simple raison qu’il a été annoncé à la veille de la clôture des dépôts de candidatures. Conséquence de quoi les candidats du MRC n’ont pas fait acte de candidature. Ce qui n’est pas le cas des autres partis politiques dont les candidats ont quand même déposer leurs dossiers.

Le premier parti de l’opposition, après le MRC, à entrer dans l’arène, c’est le PCRN de Cabral Libii. Pour ce parti politique, il y a une nécessité d’accorder un autre sursis de 15 jours supplémentaires aux différents candidats pour leur permettre de compléter leurs dossiers. Les raisons évoquées pour justifier leur demande est le fait des blocages volontaires et involontaires que les candidats ont subis lors de la composition de leurs dossiers de candidatures auprès des sous-préfectures et des mairies acquises à la cause du parti au pouvoir. Dans cette même lancée, le MPCN du bruyant Paul Éric Kingué n’est pas allé des mains mortes pour réclamer également cette rallonge supplémentaire.

Le SDF, par contre, par la voix de son Premier vice-Président, Joshua Osih, exige plutôt un règlement de la crise anglophone avec la fin de la guerre avant sa participation aux élections du 9 février 2020. L’UDC, d’Adamou Ndam Njoya, vient clôturer la liste des menaces de boycott en exigeant plutôt le renvoie des élections à une date ultérieure.

Peut-on comprendre, par cette vague de boycott que le MRC avait raison ? Ou alors les autres partis politiques profiteraient-ils du pavée dans la marre lancée par le MRC ? Pour le dire autrement, ces vagues de menaces de boycott auraient-elles eu lieu si le MRC avait choisi de participer aux élections ? La réponse est sans ambiguïté : NON.

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Auteur·e

tkcyves

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