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Le 8 mars et les enjeux de la problématique de l’égalité

Le 8 mars au Cameroun a toujours été des journées mémorables. Mémorables en ce sens que les femmes, puisqu’il s’agit d’elles, occupent l’espace public tant physique qu’intellectuel pour plaider leur cause devenue une ritournelle et un leitmotiv : égalité des genres. A la suite d’une remarquable chronique intitulée « L’émancipation des femmes passe par l’éducation des hommes » où l’égalité semble être le nœud gordien de la relation homme/femme, je me sens ici dans l’obligation, non en tant que homme mais en tant qu’être humaine, de dénouer l’écheveau.

Au fait, de quoi s’agit-il ? Que nous renvoie ce concept d’égalité si cher et si médiatisé en plein 21ème siècle de cette journée internationale de la femme que le monde entier s’apprête à célébrer comme d’habitude ? Autrement dit, comment peut-on prôner l’égalité de deux éléments dont la perception de la différence reste criarde ?

29229-logojourdelafemme2014-400x400Mathématiquement, lorsqu’on veut mettre la problématique d’égalité des éléments d’un ensemble sur la table, on suppose deux principes : 1-tous les éléments sont intrinsèquement et/ou morphologiquement (fond et forme) identiques ; 2-chaque élément a la possibilité et la capacité, sans entrave, de faire valoir leurs forces et leur puissance. Ainsi présentée, cette problématique d’égalité se pose avec plus d’acuité dans les organisations humaines où le souci d’accumulation a toujours été une quête permanente. Les êtres humains, étant par excellence en relation et en interrelation les uns des autres, rencontreront des situations heureuses ou malheureuses de conflits et de guerre perpétuelle d’accaparement des ressources : c’est l’état de nature. L’une des forces de la philosophie avec entre autres Montesquieu (L’esprit des lois), Locke (Traité du gouvernement civil), Rousseau (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Du contrat social) et autres, est de mettre en évidence cet état de nature afin de donner à la société des éléments de transformation vers l’état de société.

Bien que les problématiques du genre tel que l’ont posé les défenseurs des droits de l’Homme et les féministes ne reposent pas sur le même principe, elles ont ici le privilège d’être questionnées à juste titre. Si John Locke fonde son principe de l’égalité sur le libéralisme entendu comme le fait de conquérir des espaces de liberté en s’affranchissant des affres de son environnement, il n’en demeure pas moins vrai que les éléments qui fondent des relations entre les deux genres sont basés sur les rapports de force. Pas plus. Autrement dit, les gens doivent se battre égal à égal, comme ça se dit et les positions sociales acquises témoigneront à elles seules les compétences de tout un chacun dans sa quête du bien-être.

Le monde tel que défini par ces penseurs est perçu comme une société d’égalité en ce sens que le sexe ou le genre ici n’a pas de signification intrinsèque. L’être humain étant considéré comme un esprit pensant, il serait absolument injustifié et injustifiable de faire une différence entre les deux sexes (le masculin et le féminin) ou entre les deux genres (l’homme et la femme). Un être pensant est un être pensant. Point final. L’organe sexuel n’est considéré ici que comme un revêtement. Avec une définition du monde ainsi exposé, il y a de fortes chances de voir en la journée internationale de la femme un leurre. Évidemment, l’avènement d’une société telle que le définit les puristes du libéralisme est loin d’être une sinécure. La distinction des genres ou des sexes ne rend pas service à l’avènement d’une égalité si chère aux femmes émancipées, surtout les Africaines. Pourquoi ?

En Afrique et au Cameroun en particulier, plusieurs situations de vie en société, en famille, en entreprise, dans les domaines du politique comme de l’économie montrent à suffire que l’égalité tant prônée par les uns et les autres n’est qu’un vain mot. La première preuve la plus patente vient du fait que, dans la conscience collective, il existe une différence de fait entre les deux genres. Cette différence viendrait par la distinction morphologique de l’une et de l’autre. Les gens vont même jusqu’à conférer à chaque organe sexuel un caractère de personnalité qui lui serait propre et innée. Alors qu’il suffit de changer de sexe pour rester tel quel. Que ne voit-on pas avec le phénomène des transsexuels ? Dans plusieurs milieux camerounais, surtout traditionnel, les femmes restent encore marginalisées dans leur droit d’héritage par le simple fait de son sexe. C’est une tradition léguée par les anciens pour qui la famille est et reste l’œuvre de l’homme considéré comme le fondateur d’une famille, d’une lignée, d’un clan. D’où son nom que porte fièrement la progéniture issue de ses germes. Or, une société égalitaire supposerait que tous les enfants du géniteur soient des ayants droit à part entière. Comme les sociétés sont fondées sur la paternité, la femme est appelée à aller rejoindre son conjoint dans la lignée crée par celui-ci. Elle quitte donc la lignée de son géniteur pour aller rejoindre celle de son mari. Pour casser le lien d’avec son ancienne lignée, son futur mari doit s’acquitter d’un droit de jouissance appelé dot. C’est la raison qui justifierait, probablement, la déchéance de leur droit d’héritière pour permettre aux enfants de sexe masculin, restés dans la lignée, de jouir les biens laissés par leur feu père afin de bâtir eux aussi leur propre lignée en perpétuant la génération du géniteur.

Mais, revenons un peu plus avant pour montrer comment se construisent les situations de domination à partir d’une relation homme/femme. Les relations de flânerie et de copinage que peuvent entretenir un garçon et une fille commenceraient toujours par les avances du garçon galant. Il ne viendrait jamais à l’esprit, peut-être rarement, à la fille Africaine de s’aventurer vers un jeune homme pour le courtiser ouvertement. Cette étape est la chasse gardée de l’autre considéré comme celui par qui tout doit commencer. C’est cela l’esprit d’une relation basée sur une certaine « domination » qui ne dit pas son nom. Et ça ne dérange personne parce que c’est comme ça que la société est et a été durant des siècles. Nous l’avons trouvé et nous devons faire avec, diront certains pour s’en consoler. Et c’est ainsi que durant cette relation, les deux tourtereaux croient fermement que c’est le destin de l’homme : celui de prendre des initiatives, de considérer la femme comme sa charge, sa propriété, pour ainsi dire. Les filles ont même fière allure de se considérer comme un être appartenant à un autre au point de le revendiquer. Un être qui ne doit son existence qu’à un autre homme qui l’a sorti de la misère de chez ses parents, qui lui a donné du gîte et du pain. Il serait même inutile de faire allusion sur celles qui, avec le temps et le modernisme, se sont émancipées. Ici encore, le comble est qu’elles ne se limiteraient pas à se contenter de ses revenus. L’argent de son homme c’est pour le couple puisqu’il est le chef, diront-elles. La conception qu’elles ont de la relation y est pour beaucoup, car la perception de l’homme comme chef de famille est ancrée dans leur esprit et font d’elles moins des acteurs que de sujets.

Nous évoluons dans un monde où il est établi que chacun doit avoir sa place à priori en fonction de son sexe. Un monde où, justement, la place de la femme est confinée aux tâches ménagères, à l’éducation et au soin des enfants, à la préparation quotidienne du déjeuner et du diner familial. Celle de l’homme serait de sortir, d’aller chercher les sous pour la prise en charge de sa lignée en vue de régler les factures de l’eau, d’électricité, du loyer, des courses et de la santé de la maisonnée. Même si cette hiérarchisation ou cette répartition sexuée des tâches sociales a disparu dans certains pays ou certaines régions, il reste quand même vrai que la distinction entre les sexes demeure encore un ancrage théorétique dans les habitus et la conception des lois. La preuve, dans les entreprises elles sont de plus en plus astreintes au travail de nuit pour des raisons évidentes de préjugés sociaux. Plus en amont, au recrutement certaines sélections se font encore en fonction des sexes. Cet embrouillamini dans la répartition du rôle social a perduré à tel point qu’on en est arrivé à penser que la femme peut être considérée, selon une opinion collective, comme un « sexe faible » parce qu’elle est toujours confinée, que ce soit en famille ou en entreprise, à tout ce qui est jugé secondaire.

Cette situation a tellement marginalisé les femmes au point où les politiques prennent leur sort à bras le corps. C’est ainsi que l’idéologie socialiste, dans sa recherche de justice sociale, est arrivée à reléguer la gente féminine à la couche dite des « cas sociaux » comme on le fait pour les personnes à mobilité réduite (les handicapés), les enfants et les orphelins, les personnes abandonnées ou celles atteintes de maladies incurables ou difficiles (le cancer, le Sida), les personnes du troisième âge, etc. C’est la raison pour laquelle dans la plupart des pays africains, les ministères qui s’occupent des affaires sociales, de la solidarité nationale et de la santé publique incluent dans leur cahier de charge cette couche de la population considérée comme l’une des plus prioritaires : la femme. Le simple fait de confiner une catégorie sociale comme une couche marginalisée alors que démographiquement au Cameroun et dans la plupart des pays elle représente quand même plus de 51 % de la population totale est aberrante. De quel droit doit-elle prévaloir et revendiquer en tant qu’être humain à part entière ? Une puissance, une force qui s’ignore, qui n’a pas conscience de sa valeur intrinsèque peut-elle être considérée comme couche sociale à protéger ? Peut-être le problème viendrait-il de la marginalisation sociale. Soit. Mais, il ne faut surtout pas penser que le simple fait de s’affranchir de cette marginalisation serait une panacée si cette question de la distinction sexuelle demeure. La distinction est une construction entretenue depuis belle lurette et prônée non seulement par la tradition africaine, mais surtout par la tradition judéo-chrétienne, juive et musulmane.

On ne peut pas, d’un côté, croire en ces pratiques, et de l’autre, se donner en spectacle dans le champ de la politique où on va même plus loin en encourageant des lois sur l’égalité dans la répartition des postes gouvernementaux, des sièges à l’assemblée nationale et même dans les conseils municipaux. Tant bien que mal, certains pays réussissent à s’y arrimer. Voilà où se limite le combat des féministes, à mon sens. Mais, à vrai dire, le problème ne se trouve-t-il pas ailleurs ?

La société elle-même tend à aller vers l’abolition pure et simple de ce qui gênerait un genre à jouir d’un privilège jusque-là conféré par la nature à l’autre genre. Le phénomène de la transsexualité montre à suffisance que les capacités ou les compétences dans une tâche n’ont pas de sexe. Comment les homosexuels et les lesbiennes qui vivent maritalement font-ils pour se répartir des tâches du ménage ? Est-ce en fonction du sexe ? Que non ! On peut même prolonger l’analyse en allant au-delà et faire intervenir la biologie. La conception va finir par ne plus être l’apanage du genre féminin. Autrement dit, il n’est plus nécessaire de nos jours d’avoir un accouplement entre un homme et une femme pour être parent. Il suffit qu’une personne fasse la demande, il deviendra le parent d’un enfant adopté, d’un bébé né d’une mère porteuse, d’un bébé né d’une insémination provenant d’un donneur incognito. S’il n’est pas interdit aux personnes incapables de procréer pour des raisons de santé et autres, d’avoir des enfants, pourquoi empêcherait-on alors aux homosexuels d’avoir les leurs ? Vous me direz certainement que les deux cas sont différents par le fait que les homos ne sont pas considérés par l’OMS comme des malades, je vous réponds tout de suite que si la nature les empêche d’être parents la science le leur permette. D’où l’argument selon lequel les homosexuels manqueront des enfants deviendra, avec le temps, caduc.

Le bannissement des  sexes, condition sine qua non de l’avènement d’une société égalitaire, n’est-il pas craint pour les conséquences qu’il pourrait engendrer ou alors c’est l’ignorance qui hante la société sur la véritable conception de l’égalité selon Locke ? À l’observation donc, ce philosophe anglais définit l’égalité comme un état de nature. Il ne faut pas considérer un état de nature comme une absence de la loi, mais comme une société dont la seule loi est régie par la raison et la liberté c’est-à-dire le bon sens.

Tchakounté Kemayou

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