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SOUVENIR – DOUALA :La révolte populaire de Février 2008 telle que je l’ai vécue

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Je me souviens de ces journées mémorables des 25, 26, 27 et 28 février 2008 au Cameroun. Douala, capitale économique, ville tout à fait particulière de par son organisation et sa composition, est considérée comme la ville rebelle. C’est elle qui était la principale une de l’actualité si ce n’était la seule. Il y a donc sept ans, pour une des rares fois dans ce pays, les jeunes avaient fait entendre leur voix en criant leur ras-le-bol face à la vie de plus en plus chère à travers leur seul moyen d’expression : la rue. Mais, au lieu de la bouffe, les réactions immédiates des autorités furent sanguinaires : la sépulture.

Plus tôt avant et à la veille du 25 février 2008, Douala sentait déjà du roussi. Les informations venaient de tous les côtés appelant la population à rester chez elle. D’où venaient ces informations et qui en était l’émissaire, je veux dire le ou les leaders ou même l’organisation qui en revendiquaient la paternité ? Je n’en sais rien. Tout s’est passé comme un éclair au point où personne n’y comprenait rien. Le 24 février, de la maison, les informations me parvenaient que quelques manifestations sporadiques avaient été réprimées dans un autre quartier de plus de 10 km plus loin de moi. La répression policière a fait un mort sur le coup. De là jusqu’au centre-ville, l’émoi était déjà perceptible. Mais, les quartiers résidentiels comme Bonanjo, Bonapriso, Bonamoussadi, Maképé et Kotto où je réside, le climat était serein. Tout laissait à penser que ce n’était qu’une gesticulation de « petits vandales », comme nous avaient laissé croire les autorités qui n’avaient pas sans doute mesuré le danger. « Tout ira bien, que chacun vaque à ses occupations » : cette ritournelle a toujours été leur refrain préféré pour rassurer la population qui prenait déjà cette affaire au sérieux. Les tracs en circulation étaient rares et les nouvelles ne circulaient que de bouche à oreille : ville morte, pas d’ouvertures des boutiques et des marchés, pas de travail, pas d’école à compter de demain.

Le lundi 25 février, à la première heure, je suis debout et comme d’habitude mon poste récepteur n’était pas mon premier réflexe. Je me dirige plutôt directement vers le carrefour de mon quartier où je ne vois pas l’ombre d’un individu. Tout était calme et semblait présager une journée d’intenses activités. Subitement, quelques badauds et voisins débarquèrent de, je ne sais d’où. Le carrefour commence à faire foule petit à petit, car les gens venaient prendre la température avant de décider d’ouvrir leur boutique pour les uns ou de sortir avec leur voiture pour les autres. Mais, la première curiosité c’était l’absence des taxis et des ben-skin. Après quelques minutes seulement, un membre du parti au pouvoir habitant à quelques jets de pierres de là et qui voulait jouer au courageux, est retourné mali militari en faisant une marche-arrière en catastrophe au bord de sa belle Prado. Des jeunes venaient vers lui avec des pierres, des lattes et des vielles roues de voitures. C’est en ce moment précis que j’ai dit : « Donc, même l’acteur est mort dans son propre film ? ». A cet instant, tout a commencé à changer dans ce carrefour Kotto Bloc. Tout allait dans tous les sens. Un grand feu est immédiatement allumé à cet endroit avec ces vielles roues de voitures. Elles étaient destinées à la Prado de l’expert-comptable Samuel Moth, fuyard et faux courageux. Il avait sûrement dit à sa femme qui ne voulait pas sortir de laisser sa petite voiture et de monter à bord de la sienne pour voir comment il est fort et puissant, comment les « vandales » ont peurs de lui. Quand un homme du RDPC veut jouer le faux héros devant sa femme, voilà ce que ça donne.

A cet instant, je retourne à la maison avec la certitude que, si c’est arrivé à Kotto c’est que tout Douala est paralysé. En mettant donc mon poste récepteur, Radio Équinoxe, chaîne urbaine très populaire, en concurrence avec RFI (Radio France Internationale) avec son correspondant permanent ici, j’écoutais anxieusement les journalistes qui nous gavaient d’informations de première main. La ville était donc minée. C’est le jour où j’ai compris le véritable rôle d’un journaliste. Tout le monde était sur ses gardes en attendant, je ne sais quoi. Le moindre dérapage pouvait tout embraser. Au fond de moi, même s’il était tôt pour y penser, je comprenais que quelque chose allait se passer. Du coup, je recevais des coups de fils de partout, des frères, sœurs, amis, cousins, etc. du Cameroun et à travers le monde pour me demander : « Gars, c’est comment au Mboa ? ». Je ne cessais jamais de répondre : « Gars, c’est fort, mais c’est pas grave ».

Le mardi 26 février, je ne faillis pas à mes habitudes, cette fois-ci : mon récepteur allumé, les nouvelles ne sont pas rassurantes. Merde. Un autre tour au carrefour me donne froid au dos sur la gravité de la situation. Rien n’a changé. Mais, voilà que les habitants de mon quartier avaient oublié quelque chose de très fondamental : se ravitailler en nourriture. Il faut le dire ici tout de même, les dernières révoltes, qui dataient des années 1990 et 1991 avaient laissé des mauvais souvenirs dans la conscience collective en matière de répression. La première élection présidentielle multipartiste de 1992, à l’ère de la démocratie, avait été spectaculaire. Le vieux Dipanda Mouele avait proclamé la victoire de Paul Biya à la place du vainqueur Ni John FruNdi, leader du parti de l’opposition SDF. C’est un souvenir qui avait encore laissé un goût amer chez les Camerounais qui espéraient enfin la fin du régime de dictature depuis 1956. Le chairman Ni John Fru Ndi, appelant au calme de la population, a certainement-là, trouvé la meilleure solution à la crise que traversait le pays depuis trois ans, mais ne réussira pas à calmer les esprits de ceux qui voulaient en finir avec ce régime. Ces tueries pendant les villes mortes de 1990 et 1991 et le holdup électoral de 1992 ont finalement donné cette certitude et la confirmation que le régime de Biya est une dictature. Depuis cette période, ce régime n’a jamais cessé de s’exercer à son jeu favori : réprimer la population dans sa soif de liberté. Cette liberté, systématiquement réprimée par le BIR à tel enseigne que le peuple, jusqu’ici, manque de culture de la liberté, d’exercice de la démocratie. Les éventuels appels à la marche des partis politiques et des syndicats pour des revendications quelconques sont jusqu’ici considérés comme des « troubles à l’ordre public » par des préfets et des sous-préfets qui les interdisent systématiquement. La population avait donc commencé à s’y habituer. La déculturation et la dégradation de la citoyenneté causée par des répressions tout azimut avaient donc commencé à avoir ses effets : la désaffection, le découragement et le désintérêt de tout ce qui relève de la politique. Personne ne voyait donc le danger venir en février 2008. Mais alors, qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur de cette révolte surprise ?

En 1996, la constitution promulguée, issue de la tripartite (Gouvernement, partis d’opposition et société civile) qui est l’une des solutions de sortie de crise des années de braise, limitait désormais le mandat présidentiel à 7 ans au lieu de 5 ans et renouvelable une fois. Ce qui n’était pas le cas avant. Du coup, une lueur d’espoir se dessinait à l’horizon. Biya devrait donc avoir théoriquement 14 ans maxi au pouvoir. Que nenni. C’est en 2008, avec ses 76 ans, que le vieux tyran a compris que 14 ans étaient trop petits pour un si vieux lion. L’élection présidentielle de 2011 venant à grand pas, il fallait faire quelque chose. Quoi ? Vous en doutez bien. Le plat préféré des tyrans africains : changer la constitution en remplaçant « renouvelable une fois » par « renouvelable ». Comment peut-on changer seul un article, point focal, qui est le résultat d’un compromis de sortie d’une crise ? Et pendant ce temps, le climat social avait aussi pris un coup avec une inflation des prix des produits de première nécessité qui étaient passé du simple au double : riz, farine, sel, viande, lait, huile, poisson et que sais-je encore ? Les camerounais avaient donc très mal vécus les périodes de fêtes de fin d’année et 2008 ne présageait pas une année facile. Comme si cela ne suffisait donc pas, le vieux tyran pris le risque de promulguer, en janvier 2008, cette constitution taillée à sa mesure pour le permettre de se représenter en 2011. Ajouté à cette vie devenue de plus en plus chère, cela avait été considéré comme un défi. Jusque-là, personne ne voyait rien venir même comme le ciel s’obscurcissait.

C’est donc au deuxième et au troisième jour de la révolte, les 26 et 27 février, que beaucoup de mes voisins ont compris qu’ils avaient fait l’erreur de la minimiser. Les seules solutions qui nous restaient étaient donc de foncer vers les boutiques et les échoppes du coin. Les commerçants n’ouvraient pas. Il fallait être un client connu et résidant au quartier pour que le malien d’en face daigne vous servir à l’arrière-boutique. La prudence était de mise. En un clin d’œil, revenu au troisième jour, tout était vide. Les inconditionnels de la bière prenaient place derrière les bars pour se consoler du vide de la panse. La nourriture avait tari partout et les plus courageux m’avouaient avoir parcouru plus de 5 km à la recherche du pain. Quand on dit au Camerounais de faire le sport, ils pensent toujours que c’est un jeu. Ce sont les frottements que vous voulez voir ? Le gros ventre de bière et les cuisses graisseuses ont donné la sueur froide à mes compatriotes qui ont compris l’importance du sport. La famine, la soif, les moustiques, la chaleur, les frottements,… Non, les camerounais n’en pouvaient plus. Le tapioca appelé « sauveur » qui est un repas délaissé ici était subitement devenu « paradis ». Il fallait avoir les couilles en place pour réussir à trouver une seule maigre petite boîte de 50Fcfa vendu ce jour-là entre 100 et 200Fcfa ou parfois plus et pour ne même pas être rassasié.
Le jeudi 28 février, tout le monde était KO. Même les robinets ne coulaient plus. Les jeunes qui manifestaient font déjà parler d’eux. La colère et la sauvagerie ont donc pris le dessus. Les stations-services Total et les kiosques du PMU Cameroun, entreprises françaises sont particulièrement ciblés. Les boutiques de luxe et les boulangeries sont passé au crible par ces jeunes donc la raison avait certainement quitté leur réflexion. Pour certains, c’était la preuve que c’étaient des vandales, comme l’avaient mentionné les autorités au début : « voyez comment ils se comportement. C’est irresponsable. Ce sont des vandales, des voyous ». La réaction violente de Biya, à travers son discours, n’avait laissé personne indifférent. Jusqu’à présent je ne comprends pas pourquoi il accusait les opposants d’être des « apprentis sorciers » et d’être tapis dans l’ombre pour déstabiliser le pays en instrumentalisant la jeunesse alors que lui-même avait donné raison à cette jeunesse en créant un régulateur des prix des produits de première nécessité. Le déploiement du BIR et le discours violent de Biya ont presque mis le pays en situation d’effroi. Comme un coup de baguette magique, le vendredi 29 février, lendemain du discours, tout s’est arrêté comme par enchantement. Vient maintenant l’heure des bilans : plus de 140 jeunes assassinés par le BIR, plus de 3000 arrestations qui ont été déférés au parquet pour « troubles à l’ordre public et casse » et soit amnistiés, soit libérés quelques années après.

Par ce billet, je voudrais ici rendre hommage à ces jeunes assassinés qui, pour la plupart, avaient moins de 20 ans dont les photos circulent partout sur les réseaux sociaux. Ils n’étaient donc pas nés pour les uns ou étaient encore enfants, donc innocents, pour les autres au moment où leurs aînés se levaient aussi comme un seul homme dans les années 1990 et 1991 pour dire « ça suffit ». Devons-nous encore attendre une autre génération de jeunes de 20 ans, donc en 2018 année électorale au Cameroun, pour voir encore les jeunes dans la rue ? Tout laisse à le croire. Parce que du haut de ses 83 ans, Biya et son BIR doit affronter Boko Haram qui risque d’être le prétexte ou la goutte d’eau qui va déborder le vase.

10929574_10206058455883174_3820215702366769514_n1.Jacques Tiwa, tuéaBonanjo alors qu’il sortait de son bureau le 28 février 2008. Jacques était de ceux qui pensaient qu’il faut retourner au pays pour apporter sa contribution pour la reconstruction du Cameroun. Il avait acquis une expertise comptable au Sénégal, et s’était installé à Douala avec son épouse et ses deux enfants (Brice Nitcheu).

 

10995935_10205305772699118_1252816587732141209_n2.Le jeune Junior Mbeng a été abattu le 26 février 2008 àBonabéri par l’armée de Paul Biya.Junior avait tout juste 18 ans. Le 26 février 2008, comme de nombreux jeunes de son âge, il était descendu dans la rue pour dire NON à la modification de la constitution. Il était le fils unique à sa mère, Mme Essome, qui vivait à Bruxelles au moment du crime. Ce jeune (sur cette photo que tient sa mère) Camerounais rêvait d’un Cameroun meilleur (Brice Nitcheu).

 

TchakountéKemayou

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Auteur·e

tkcyves

Commentaires

Ecclésiaste Deudjui
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je me souviens encore de cette journée macabre comme si c'était hier