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Santé : Une sécurité sociale au Cameroun est-elle possible ? (1)

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Immeuble siège de la CNPS à Yaoundé

Comment le gouvernement peut-il faire pour offrir les soins de santé gratuits à tous les Camerounais sans distinction, sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables ? Cette question, qui avait fait l’objet d’une commission depuis quelques années, présidée par le Prof Abolo Mbendi, chargée de trouver une solution afin de pallier à l’absence criarde d’une sécurité sociale au Cameroun, reste encore d’actualité. Malgré le bienfondé de ce système ô combien urgent, des interrogations subsistent toujours quant à son efficacité compte tenu des pesanteurs sociaux et moraux.

Le Cameroun a-t-il réellement connu une sécurité sociale maladie ?

S’il est vrai que c’est à partir de 1967, à travers la loi N°67/LF/07 du 12 juin 1967, que la sécurité sociale a été instituée au Cameroun, il est aussi vrai que le Cameroun, depuis 1960, n’a jamais connu un système d’assurance-maladie. Par contre, il existe un décret, comme celui du N°91-330 du 9 juillet 1991 et qui n’est réservé qu’à une minorité de privilégiés. Il fixe les conditions et les modalités de prise en charge sur le budget de l’État des dépenses liées à l’évacuation sanitaire des personnels civils de l’État et de 60% des frais de santé des fonctionnaires. Des exemples et des témoignages tirés à bonne sources affirment que dans les faits, ces textes ne sont appliqués que pour des pontes du régime politique au pouvoir.

Pour ce qui concerne l’assurance publique, la loi N°67/LF/08 du 12 juin 1967 a vu la naissance de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) et ce n’est qu’en 1999 que le gouvernement camerounais a adopté une stratégie de réforme globale de la Sécurité Sociale. Cette même stratégie de réforme, en réhabilitant la CNPS au statut d’établissement public jouissant d’une autonomie financière, lui donne aussi le statut d’un établissement au régime de prévoyance sociale. Il doit donc prendre en compte, en plus du personnel de la fonction publique, les salariés relevant du code de travail. Ce n’est qu’en 2014 qu’une autre réforme viendra élargir le champ des assurés en y introduisant le secteur informel. Cependant, parmi les trois type de de prestations sociales délivrées par la CNPS à savoir : les allocations familiales, les pensions d’assurance vieillesse (pension retraite), et le service de prévention et de réparation des accidents et maladies professionnelles, le volet maladie reste inexistant. Par contre, pour ce qui concerne l’assurance privée, les entreprises d’assurance régies par le code CIMA (Conférence Inter-africaine des Marchés d’Assurance) sont les mieux indiquées. Ceux qui sollicitent ce type d’assurance, ont la possibilité de souscrire à une assurance maladie. Mais cette population qui ne représente que moins de 20% des travailleurs du secteur formel ne comporte qu’une proportion de moins de 5% d’assurés.

A côté de ces deux types de société d’assurance, grâce à la coopération internationale, il existe également une autre forme de système de protections sociales réservées aux groupes minoritaires et marginaux. Ce sont des structures appelées « mutuelles de santé » ou « micro-assurance santé ». Parmi les expériences de mutuelles existantes, on peut citer : la mutuelle ASIPES (Association Islamique pour la Promotion de l’Éducation et de la Santé), appuyée par la Coopération Suisse ; les mutuelles d’entreprises et les organisations traditionnelles de solidarité (mutuelles de type ethnique ou clanique appelées aussi « tontines »). Le fait que ce dernier type de mutuel soit de plus en plus sollicités est un signe qu’il y a un besoin urgent. Et leur incapacité à résorber tous les besoins est aussi un signe qu’il y a un vide à combler dans ce domaine.

Une solution plus efficace au problème de santé publique : La sécurité sociale

C’est désormais devenu courant au Cameroun, la mort dans les hôpitaux fait partie des banalités les plus absurdes. Loin de moi de considérer la mort comme une surprise, il reste tout de même fonder de nous interroger sur sa régularité, sa fréquence permanente. La précarité, de prime abord, est pointée du doigt : les malades meurent dans nos hôpitaux faute d’argent ; le personnel soignant, pour arrondir leurs fins de mois, instaurent des pratiques non orthodoxes en imposant des frais supplémentaires aux malades et l’État, faute d’un budget suffisant, subventionne de moins en moins la santé publique. Selon les experts, le constat est pourtant clair : l’argent, même en étant le nerf de la guerre, est bel et bien disponible quelque part. Le seul problème cependant est qu’il faut trouver une méthode rigoureuse et objective pour l’immobiliser et le mettre à la disposition de la santé de la population.

Plusieurs méthodes, trouvées par des experts, ont déjà fait l’objet d’une étude appropriée. Parmi les nombreuses méthodes passées en revue, celle qui a particulièrement retenu mon attention est celle de la mise en place d’un système de sécurité sociale. Après la lecture de l’ouvrage La Sécurité sociale au Cameroun : Enjeux et perspectives d’Étienne Ntsama paru en 1997, l’histoire dans ce domaine nous renseigne sur la pratique de la sécurité sociale maladie qui n’était réservée qu’aux employés et cadres des entreprises parapubliques, privées et multinationales et sur des effets positifs qu’elle a eu et qu’elle pourrait avoir au sein de la population : C’est ce qu’on appelait, à l’époque, « l’État providence ». Cela signifie que l’État et les entreprises finançaient, sous fonds propre, la prise en charge à travers la N°91-330 du 9 juillet 1991. Pourquoi actuellement ce système a-t-il disparu alors dans un contexte de pauvreté ? L’une des raisons évoquée, par l’opinion et certains experts, pour expliquer cette disparition est la suivante : Dans les années 1990, après la crise socio-politique liée au vent de l’Est et la dévaluation du Fcfa, le pays a connu un délabrement de son système de santé qui persiste jusqu’aujourd’hui à tel enseigne que l’environnement ne serait pas propice à une application saine de la sécurité sociale. Par contre, des experts de la commission, présidée par le Prof Abolo Mbendi, qui se sont penchés sur la question affirment mordicus qu’il est possible de redonner le sourire aux camerounais. La solution miracle, selon eux, serait que, bien que les méthodes connues soient déjà dépassées, le système de la sécurité sociale doit être actualisé pour redonner à nos hôpitaux leur vocation d’antan. La question qui me préoccupe dans ce billet est donc celle de savoir comment une sécurité sociale serait-elle encore possible dans un contexte où l’environnement du système de santé qui l’a fait disparaitre existe encore ?

Les principes théoriques d’une sécurité sociale au Cameroun

Pour répondre à cette question « comment le gouvernement peut-il faire pour offrir les soins de santé gratuits à tous les Camerounais sans distinction, sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables ? », l’anthropologue Camerounais Basile Ngono, par ailleurs membre de ladite commission, nous livre ici, les principes théoriques qui devraient guider les législateurs sur le bienfondé de ce système de sécurité sociale en faisant appel à un penseur américain Arthur Cecil Pigou qui aurait su quoi proposer pour réaliser ce qui, à première vue, s’apparente à la quadrature triangulaire du cercle. Bien que moins connu que John Maynard Keynes, son élève à Cambridge, Pigou (1877-1959), a apporté des contributions majeures à l’avancement de la science économique, dont certaines conservent toute leur actualité et leur pertinence. Animé de préoccupations sociales et favorables aux transferts de richesse en faveur des plus pauvres, il rejoindrait sans doute les rangs de ceux qu’indigne la montée des inégalités économiques.

Dans son œuvre principale, The Economics of Welfare, parue en 1920, Pigou se penche sur les relations entre la production et le bien-être des sociétés. Il s’intéresse notamment aux « externalités », soit aux effets collatéraux, positifs ou négatifs, des actions des entreprises ou des individus sur les tiers. Ces externalités sont assimilables à des déficiences des marchés puisqu’elles ne comportent pas de contrepartie financière reflétant la valeur accordée à ces effets. Pigou a attiré l’attention sur le fait que les externalités peuvent faire en sorte qu’une activité, bien que générant un bénéfice ou un déficit privé pour un individu ou une entreprise, peut se solder au net par un déficit ou un bénéfice social pour la collectivité si l’on prend en compte les effets positifs ou négatifs sur les tiers. Ce rendement social net doit être pris en considération si l’on vise un maximum de bien-être pour l’ensemble de la société. Ainsi, à son avis : « Il peut arriver […] que des coûts soient imposés à des personnes non directement concernées par le fait de dommages non compensés […]. De tels effets — certains seront positifs, d’autres négatifs — doivent être inclus dans le calcul du bénéfice social net découlant de l’emploi de ressources pour quelque usage ou en quelque endroit. » (The Economics of Welfare, partie II, chapitre II, part. 5 ; traduction libre.)

Aussi, pour assurer qu’une activité privée se traduise par un bénéfice social net, le gouvernement est justifié d’agir pour faire en sorte de réduire l’écart entre les rendements privés et publics d’une activité : « Il est toutefois possible pour l’État […] d’enlever les divergences dans tout domaine par des “incitations extraordinaires” ou des “restrictions extraordinaires” aux investissements dans ce domaine. Les formes les plus évidentes que peuvent prendre ces incitations ou restrictions sont, bien sûr, les subventions et les taxes. » (The Economics of Welfare, partie II, chapitre IX, par. 13 ; traduction libre). Dans le cas des externalités positives, le gouvernement devrait donc subventionner les individus ou les entreprises s’adonnant à des activités qui, bien qu’elles leur occasionnent des frais ou d’autres inconvénients, produisent des bénéfices pour la communauté sans que celle-ci ait à débourser quoi que ce soit pour les obtenir. Par exemple, le gouvernement peut être justifié d’aider des individus à poursuivre leurs études compte tenu des services qu’ils seront en mesure de rendre à la société une fois qu’ils auront acquis des compétences utiles.

Pour passer de la théorie à la pratique, d’une manière concrète, quels sont les mécanismes qui peuvent mettre en exergue des moyens de prélèvement de ces taxes de Pigou ? Et l’une des critiques des détracteurs de ces nouvelles formes de taxes formule qu’il faut aussi prendre en compte le fait que que la surabondance des taxe n’entrainera que des effets pervers.

Lire le billet suivant…

Tchakounté Kémayou avec Olivier Arnaud, Basile Ngono, Jean-claude Owona Manga, Herve Arsenal Ngakeu, Jean-baptiste Bikai, et Hyacinthe N. Ntchewòngpi (Débat sur le forum Le Cameroun C’est Le Cameroun)

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tkcyves

Commentaires

MANI NOAH Sébastien
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comment le gouvernement peut-il faire pour offrir les soins de santé gratuits à tous les Camerounais sans distinction, sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables ?
Au Cameroun, les soins étaient gratuits dans tous les districts de santé, infirmeries, hôpitaux. Le villageois savait qu'il devait payer l'impôt forfaitaire et avoir tous ses droits. Pour cette raison, dès quinze ans, le garçon savait qu'il devait s'acquitter de son impôt pour faire tourner ou fonctionner l'Etat. Aujourd'hui, cet impôt est supprimé. La CNPS jusque-là n'acceptait pas les assurés volontaires. Je pense que tout est encore possible, en développant une culture de la sécurité sociale dès l'école primaire. Le Camerounais n'a pas la culture de la sécu moderne. A ce niveau, l'Etat doit éduquer dès le bas-âge.