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La sagesse africaine de la main gauche

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Ecrire, c’est, comme dit Kafka, la hache qui fracasse :  the frozen sea of the heart. En d’autres termes, n’écris pas, jamais, à moins que tu ne sois prêt à causer des émotions fortes. Mais que fait-on du cœur fracassé de quelqu’un qui t’aime beaucoup? Quelqu’un que tu fais rêver?

Cette sagesse littéraire et profondément africaine nous plonge-là dans la philosophie du mythe de la main gauche enseignée par le Mbog (le Sage) chez le peuple Bassa’a (Cameroun). Le mythe de la main gauche est cette sagesse qui enseigne au peuple la rémission. Comme pour dire, selon Kafka, qu’on n’écrit pas si l’on ne peut maîtriser les conséquences des émotions suscitées dans les mots. La sagesse de la main gauche est un euphémisme en littérature qui atténue la sauvagerie pour mettre en évidence le rôle de la douceur nécessaire pour anéantir la violence nécessaire à la guérison des maux. Et la philosophie du mythe de la main gauche dit, en langue Bassa’a :  Mbɔg: Wɔɔ waaye  (Lorsque la main droite fracasse, le bras gauche attire à soi et console).

Les Igbo (Nigéria) disent, s’adressant aux parents, When you hit a child with the right hand, you use the left to draw him closer. Ça, c’est bien dit. C’est beau.  Ce petit geste-là, … to draw him closer, est tout le Mbog. La main gauche est donc un symbole de la douceur maternelle, de l’amour. Oui, de l’amour vraie. Et c’est à juste titre de dire que les enfants qui ne reçoivent que la sanction du fouet pour une faute commise sans recevoir en retour du chocolat pour un exploit accompli ne seront jamais, au grand jamais, des enfants de cœur, mais seront des enfants écœurés et frustrés. Il suffit juste de mettre en évidence ce parcours titanesque et honnête d’un gamin qui a connu des moments assez particuliers qui ont fini par faire de lui un homme accompli, fier et imbu de sa personne. Les récits de vie ne doivent faire de mal à personne et honni soit qui mal y pense :

 

Je viens de Loum, je suis le fils de braves paysans à la vie rude

Je connais les réveils dès 4h du matin 

Pour traverser 10km vers le cœur de la brousse 

Et arriver à la pointe du jour

Le cœur ravi du bruissement des champs, du chant des oiseaux

Et les jambes trempées de la rosée du matin

 

Je connais les retours à 17h sous les ahans de mon pousse-pousse

Chargé de bois, de manioc et autres victuailles

Pieds nus sur les chemins rocailleux

 

Je connais les longues marches à travers champs 

Pour aller recueillir de l’eau d’une source unique pour tout le village

Coulant comme du pipi de chat

 

Je connais les longues marches sous le soleil ardu des tropiques, 

Pour aller m’asseoir sur à 6km de chez-moi, sur les bancs du lycée

 

J’ai connu la fortune et le dénuement

J’ai vécu dans une opulence grisante

Et j’ai été précipité patatras sur le macadam du jour au lendemain

J’ai connu les recommencements douloureux

Les tentatives infructueuses

Les pertes et les échecs qui vous retroussent les commissures des lèvres en un pli amer de désespoir et de découragement

 

J’ai connu une vie remplie de prénoms de femmes

Et des traversées du désert longues et sèches comme la vie monastique

Mais j’ai eu la chance extraordinaire d’avoir l’amour infini d’une mère d’exception

La ténacité et la bonté d’un père que le souci du juste avait rendu presque excessif

J’ai vu en grandissant tant et tant de générosité

J’ai tant reçu de la vie

J’ai été si bien armé par la vie

Que toujours je rebondis après chaque rupture

Pétri d’optimisme et de d’une assurance tranquille

Dans la conviction que les moments les meilleurs se trouvent toujours devant moi

 

Alors me voici, confiant sur l’océan démonté de la Vie

Armé du courage de la brave petite pirogue 

Qui se joue des éléments déchaînés 

Et arrive, intacte, sur la berge paisible et calme.

 

Voilà en fait ce que la vie nous réserve : une pénibilité qui réserve beaucoup de surprise au cours de sa carrière de vie personnelles qui peut être considérée comme une leçon de philosophie de vie. La main gauche est cette rémission qui apporte de l’espoir, qui gouverne les pensées positives dans le but de mettre en valeur les qualités intrinsèques humaines : le travail. Il n’est sans doute pas anodin de dire ici que cette sagesse est loin de symboliser la faiblesse ou la mollesse. C’est tout simplement un hymne à l’amour que l’être aimé renvoie à celui qui doit se distinguer par son ardeur à défendre le travail, la justice et la solidarité, donc l’amour pour son semblable. On ne maudit pas avec la main gauche. Un clin d’œil de manière vulgaire signifie que c’est l’œil gauche qui est ouvert tandis que celui de droite est fermé. C’est ce que les jeunes filles courtisées attendent d’un gentleman. Cette attirance, cet amour dévoilé par l’œil gauche est plus tendre à voir. Ça apaise un cœur meurtri. Toute personne qui manquerait de tendresse en tomberait sous le coup de son charme car l’œil gauche est d’une malignité émotionnelle. la concrétisation de cet amour est marquée par une alliance à la main gauche. Quelle est pleine de symbole, cette main si tendre et si envoûtante! 

Alors, continuons donc en rang serré. Dans la pure sagesse africaine de la main gauche. Sous l’Œil bienveillant de Plus-Ancien et tous les travailleurs de l’Etablissement de l’Œil.

Tchakounté Kemayou, Bonaventure Tchucham et Nouk Bassomb

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Auteur·e

tkcyves

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