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Le pugilat entre artistes hante la Toile au Cameroun

Le pugilat est à son comble entre artistes. Les Camerounais s’en délectent et se mettent en rang serré pour assister, sur la Toile et les médias classiques, au concert de musique pas comme les autres. C’est un concert très particulier d’un autre genre que deux artistes ont accepté d’offrir gratuitement aux Camerounais. Il s’agit d’un concert d’insultes par médias et réseaux interposés. Ce concert est devenu bruyant au point de diviser l’opinion. Les fans, en bataille rangée, se défendent en mettant en avant les fumisteries de l’artiste adverse.

Sur le ring du concert, Ngono Adèle Ruffine, alias LADY PONCE, née en 1983 et Longkana Agno Simon, alias LONGUÉ LONGUÉ, né en 1973. Ce sont les deux artistes musiciens camerounais adulés sur la scène nationale et internationale. Ces deux-là, à la place des belles chansons qui honorent le patrimoine culturel de leur pays, se donnent, via les médias (presse écrite, TV) et les réseaux sociaux, une volée de bois vert d’une rare violence.

Comment en est-on arrivé là ?

Le pugilat des artistes
Le quotidien satirique camerounais Le Popoli a fait du pugilat des artistes ses choux gras. Crédit photo : capture d’écran du journal.

Affaire Longue Longue/Lady Ponce : un cas singulier des « mythes et délires d’une société camerounaise contemporaine en crise »

Les faits

Ces derniers jours, une escalade conflictuelle opposant Longue Longue à Lady Ponce défraie la chronique autant dans les mass médias que dans les techno-médias. En effet, une guerre symbolique auréolée des clichés négatifs cristallise les deux figures de la scène musicale locale. A coups de quolibets, de stéréotypes, de diatribes, de chiens écrasés et de sarcasmes, ces deux singularités du monde de l’art musical s’étripent sur l’espace médiatique au grand bonheur des auditeurs et des internautes enclins à l’écoute systématique et régulière des scènes crisogènes d’un tel acabit.

Suivant l’historicité de cette guéguerre envenimée dans l’arène publique, Longue Longue est le premier acteur à sonner le tocsin du clash avec sa congénère tant dans l’une de ses envolées narcissiques sur la toile, il l’a qualifiée « d’illettrée » et de « prostituée ». Réponse du berger à la bergère : Lady Ponce n’a pas manqué, dans l’une de ses récentes interviews télévisées sur Vision4, de battre en brèche la posture désinvolte, désobligeante et incongrue de Longue Longue. Ainsi, l’auteur de la chanson à succès « Aio Africa » a-t-il été affublé du statut de « violeur » et de « pédophile » par l’auteur du titre adulé « Moan yesus ».

Ce jeu de l’étiquetage social ne s’est pas limité à cette émission puisque sur Soleil Fm, l’une des dernières nées du kaléidoscope médiatique local à Yaoundé, ce 23 octobre 2017 entre 10 et 12h, Lady Ponce a, une fois encore, à la faveur du temps d’antenne à elle accordé, labellisé négativement Longue Longue. Les mêmes qualificatifs de « violeur » et de « pédophile » englués dans un magma d’histoires ont été relayés, mieux diffusés tantôt à la grande satisfaction du consortium d’animateurs présents en studio, tantôt à la grande désolation de certaines catégories de l’agora peu intéressées pour ce type d’excroissance langagière.

Les médias mis à contribution pour enflammer les artistes

L’exaltation de la catharsis sociale autour de cette affaire morbide au plan de la Sémiotique du discours de l’un et de l’autre s’est, de surcroît, vérifiée à l’aune de la prise et de la diffusion coercitive et massive des vidéos liées à des indiscrétions de la chanteuse sur les réseaux sociaux. Toute chose, curieusement, amplifiée par des Hommes de médias, dont d’aucuns ont tôt fait d’annoncer, deux heures à l’avance, la participation de cette dernière à un programme à coloration animatif. L’on dirait une scène de prestance individuelle émotive, affective et cathartique. Mais pour quel dessein au demeurant ?

Du coup, il naît, en tant qu’homme de science, un questionnement épistémique sur le statut, voire sur la fonction des médias dans la société en général et, singulièrement, dans le processus de règlement de la crise de rapports interpersonnels. A ce giron, sans se prévaloir de la posture de maître-censeur, le théoricien et le praticien des sciences de l’information et de la communication s’interroge sur le rôle des journalistes et des animateurs dans la dynamique d’exacerbation de cette dissension ou d’apaisement social entre les deux artistes-musiciens. Doit-on informer, éduquer, divertir ou, a contrario, insulter, se quereller et invectiver étant donné qu’il s’agit des adultes ?

L’analyse psycho-sociale de l’avalanche conflictuelle entre le « libérateur libéré » et la « ponceuse nationale »

Pour ceux et celles qui ne le savent pas, la vie sociale est une scène de théâtre, nourrie de la construction de la réalité quotidienne. Chacun joue, délibérément ou inconsciemment, un rôle théâtral d’une part et un rôle social d’autre part. Lorsqu’un cas de crise de rapports inter-individuels se pose avec acuité dans l’arène sociale, faut-il faire le jeu de l’aggravation de la crise à coups de facteurs de la « violence symbolique », en alimentant les médias et les réseaux sociaux des émotions, des passions, des pulsions et des affects, vecteurs de la stigmatisation sociale ? Si Longue Longue, depuis près de deux mois, est un acteur théâtral ayant assailli l’espace techno-médiatique et ayant labellisé, de façon stéréotypée, Lady Ponce, faut-il qu’elle aussi s’enlise dans la boue, voire dans la gadoue en théâtralisant le rôle de « dépravé mental spontané »?

Mû par une folie de grandeurs habituelle et désormais rituelle, le « libérateur libéré », qui n’est pas à son premier coup de dérive orale, s’est permis, contre toute attente, dans ses vidéos insolites, insolentes et exubérantes, de flinguer certaines figures de l’échiquier artistique et médiatique. Jean-Pierre Essome, Petit Pays, Tchop Tchop, Fingon Tralala en sont quelques exemples patents. Aussi s’est-il donné du plaisir et du loisir malsain en raillant certaines catégories sociales en proie à la paupérisation ambiante et chancelante dans un hôtel de la place.

Les frasques de cet artiste étaient, d’ailleurs, filmées par ses amis qui l’y encourageaient avec un intérêt singulier. Lorsqu’un être humain qui plus est un acteur théâtral se livre à ce jeu stigmatisant et inconvenant à l’égard de plus d’un, faut-il basculer, comme lui, dans la scénarisation de cette posture malsaine et nauséeuse ? Toute chose qui participe, dans la même veine, à ternir votre image ?

Peut-on espérer la fin du pugilat de ces artistes ?

Eu égard à ce cas singulier des mythes et délires d’une société camerounaise contemporaine en crise, les Hommes de médias, plutôt que d’accentuer cette tension inter-individuelle à coups d’interventionnisme médiatique de la labellisée, doivent, fort au contraire, opter pour la logique de l’apaisement social. A ce niveau, au plan psycho-social, il est idoine de faire tabula rasa de ce type d’ignominie du provocateur, lequel relève du futile pour se consacrer à l’utile lié à la promotion de nouvelles sonorités de Lady Ponce.

A preuve, l’essentiel auquel devrait se consacrer Lady, depuis la sortie de son album, est la promotion et, a fortiori, la communication autour des singularités et originalités de cette fleur musicale. Mais comme les acteurs médiatiques d’ici sont friands et raffolent des faits divers et des histoires tissées d’intrigues et des dessous de ceinture, il naît, chaque fois, une incitation subliminale des protagonistes à se crêper le chignon et à s’opposer littéralement à coups de propos discourtois et de mauvais aloi. Illico presto, le questionnement épistémique est, dans la même veine, orienté vers les promoteurs d’entreprises de presse qui prêtent le flanc à ce jeu de l’exacerbation du conflit, ainsi que vers des personnes proches collaboratrices desdits artistes-musiciens.

L’instrumentalisation de certains organes médiatiques à des fins de polarisation crisogène entre des artistes n’aide pas à polir l’image et le statut social des théoriciens et des praticiens de l’art musical.

Dans la vie, il faut savoir se consacrer à l’essentiel au détriment de l’accessoire. Comprenne qui pourra et réagisse qui voudra

Un texte du sociologue Serge Aimé Bikoi

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tkcyves

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