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Pourquoi la création des États-Unis d’Afrique fait-elle peur ? (5)

usofafrica1« Comment un grand continent comme l’Afrique avec plus de 50 pays (avec de grosses différences socio-politiques, économiques, culturelles, etc.) peut devenir les Etats Unis d’Afrique ? Entre Utopie, vœu pieux et onirismes de « nouveaux panafricanistes », il y a de quoi perdre sa boussole » (Stephen Sunou, Journaliste-France). Voilà en quoi se résume une des conclusions de certains Africains qui estiment que le concept des Etats-Unis d’Afrique n’est fondé que sur des illusions et des idées de vengeances contre ceux qui sont considérés comme des ennemis.

Nous avons vu, dans les chapitres précédents, que les thèses qui s’affrontent dans le débat sur la nécessité de la création des Etats-Unis d’Afrique opposent les optimistes garvéyistes et les pessimistes. Les garvéyistes et les pessimistes s’affrontent par des thèses qui s’opposent sur le l’utopisme ou non de ce projet d’une union des Africains basée sur une conscience d’appartenance à un territoire, une histoire, une culture, une philosophie, une science et un même destin politique. Pour les garvéyistes donc, la réalisation de cet ambitieux projet est plus que nécessaire si les Africains veulent sortir de la pauvreté et des malheurs devenus leur lot quotidien.

Ici, nous sommes quittés du champ des acteurs internes et des acteurs externes comme principales responsables de la dérive et le déclin de l’Afrique pour nous retrouver dans le champ exclusivement interne. Pour rappel, chez les garvéyistes, il est sans doute convenu que les barbaries de l’histoire sur l’esclavage et la colonisation nous donnerait à voir que seuls les auteurs de ces barbaries doivent être considérés comme les responsables du malheur du continent. Contrairement aux pessimistes qui estiment que les Africains ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Le champ interne des acteurs oppose les leaders au pouvoir et les contestataires. L’accession des pays Africains à l’indépendance est une conséquence logique des luttes de libération menées par des peuples soifs de liberté. A la place des leaders qui ont lutté pour obtenir ces indépendances, les pays ont été confiés aux gens qui, curieusement, étaient du côté de colon oppresseur. Conscients de leur illégitimité et de l’illégalité de leur pouvoir, ces leaders au pouvoir n’avaient pas d’autres choix que de s’y maintenir bon gré mal gré non sans réduire tout ou presque leurs adversaires au silence total. D’où l’instabilité des régimes politiques africains dont les racines se sont solidement implantées dans le champ politique. Nous sommes donc ici devant deux acteurs en confrontation.

C’est qui l’ennemi ? Les leaders ou le peuple ?

Les tenants de la thèse utopiste des Etats-Unis d’Afrique, sans nier la nécessité d’unir les Africains, sont pessimistes quant à la volonté et le courage de ces leaders politiques sur qui l’Afrique ne peut que compter. Pour Thierry Amougou (Economiste, Belgique), « l’Afrique est contre elle-même via ses fils qui la dirigent sans amour pour elle, sans éthique de conviction sur leur devoir historique de construire sa grandeur, et sans responsabilité altruiste ». Cet économiste, comme nous pouvons le voir, indexe ceux qui ont eu la charge de conduire les troupeaux et qui, au lieu de servir de bergers, deviennent des bourreaux. De Mobutu à Ben Ali en passant par Moubarak, Campaoré, Macias Nguéma, Bokassa, Idi Amin Dada, Ahmadou Ahidjo, Omar Bongo, Hissen Habré ou encore Samuel Ndo, Paul Biya, Eyadema, Kabila-fils et Kurunziza qui représentent non seulement la honte mais aussi le désespoir de tout un continent, ont connu, pour les uns, et connaissent, pour les autres, un pouvoir à vie caractérisé par la barbarie et la cruauté, l’emprisonnement, si ce n’est pas l’assassinat pur et simple, d’Africains, pour garder le pouvoir.

Cette lecture représente un diagnostic partiel et partial de la situation. Dans cette posture, l’économiste confond tous les Africains en les imputant les actes ignobles commis par ces illustres leaders considérés à raison comme des exemples typiques de la médiocrité et de la honte que l’Afrique a connu. Il faut, selon Bonaventure Tchucham (Juriste, Allemagne), « opposer très nettement l’Africain acteur, qui prend en main l’initiative historique, confronte le système d’oppression jusqu’au sacrifice suprême, et l’Africain veule, de basse moralité, la lie des hommes pour ainsi dire, qui se prête au complot d’asservissement de son peuple ». Ainsi, réduire l’Afrique et les Africains à de simples couardises, de simple « ivresse névrotique du pouvoir à vie » doublée d’images de sang, de haine, de famine, de maladies diverses et chroniques, de malheur et de désespoir, c’est occulter. Voilà à quoi ressemblent l’Afrique et le discours que certaines personnes veulent renvoyer d’elle.

Pendant le nazisme des Juifs ont collaboré. Mais personne ne dit que les Juifs sont responsables de la Shoah. En France, l’élite française a collaboré avec Hitler. Mais dans les manuels d’histoire il est dit que le Peuple français a résisté, et l’histoire de la résistance française est commémorée. Chez-nous, C’est nous-mêmes qui passons le temps à nous infliger la responsabilité des crimes commis contre nous, dans un élan masochiste étrange… C’est comme un œil dont la rétine n’arrive pas à redresser l’image inversée qu’elle reçoit, de sorte que nous voyons faux. De manière générale et durable, les Africains résistent, ils luttent et ils meurent pour avoir voulu être libres et vivre dignes! Et celui qui les tue c’est l’Occident, même s’il se sert d’Africains corrompus ou subornés pour les tuer. En droit pénal on connaît la notion d’auteur moral dans le cadre de la participation criminelle. L’incitateur, le concepteur de l’infraction, qui choisit la victime et le lieu du crime, est l’auteur véritable. Celui qui appuie sur la gâchette n’est que le middleman! L’auteur moral est puni plus sévèrement que l’exécuteur de la basse besogne. Ton erreur est de taper, sur le middleman, d’accabler les victimes, et de laisser tranquille le vrai criminel.

Comment peut justifier la responsabilité des africains ?

Dans le camp de ceux qui sont radicalement et activement engagés dans la lutte anti-colonialiste, de mauvais choix stratégiques ont été faits, choix qui ont contribué et qui contribuent à notre défaite.

En réponse au juriste Bonaventure Tchucham, Roufaou Oumarou (Economiste, Belgique) met en exergue, dans les lignes suivantes, les frasques qui ne sont pas toujours de la responsabilité des seuls leaders. Rien que dans les nombreuses batailles militaires livrées par nos ancêtres et ainés contre les armées coloniales, les exemples de mauvais choix stratégiques des Africains abondent. En voici quelques-uns.

1) Les conditions d’ouverture et la conduite du 2ème front de l’ANLK au Congo Brazza en 1965-1966 : Ossende Afana et Woungly Massaga, pour ne citer qu’eux, étaient membres du même parti révolutionnaire, du même Comité Exécutif/Comité Révolutionnaire, défendaient la même cause contre le même ennemi, à un moment critique de la lutte, étaient tous deux conscients de la puissance et des moyens de l’ennemis en face, mais ils n’avaient pas su dépasser leurs querelles personnelles (ou les rivalités de courant chine/urss) et les divisions internes pour conjuguer leurs forces contre l’ennemi commun. Ils s’étaient précipités en ordre dispersé sur fond de querelles d’égos sur le même théâtre d’opérations pour lutter séparément (peu importe que leurs arrivées effectives sur le terrain aient lieu à des moments légèrement différents). Résultat: dispersion des maigres forces disponibles, perte de crédibilité, inefficacité et finalement défaite cuisante. Beaucoup de facteurs expliquent l’échec du 2ème front, mais il est évident que le cours des choses serait différent si les leaders y étaient allés unis et disciplinés comme une seule armée et non deux fractions hostiles l’une à l’autre.

2) Le 15 décembre 1893, des tirailleurs Dahoméens de l’Armée allemande s’étaient révoltés et très vite ils avaient occupé le palais du gouvernement allemand et fait fuir les Allemands. Ils ont résisté plus d’une semaine, et ce n’était que grâce à des renforts allemands venus de Sao Tomé et à l’emploi de vaisseaux de guerre pour les canonner que leur révolte fut écrasée le 23 décembre 1893.

Imaginons que les populations camerounaises (les chefs Douala par exemple qui faisaient déjà face à des problèmes avec la présence allemande) aient fait le choix stratégique de se joindre à cette révolte: les Allemands auraient été chassés du Cameroun, compte tenu de l’impopularité de l’entreprise coloniale en Allemagne et des problèmes de crédits qu’avait la Colonie. Bien entendu la passivité des camerounais s’explique principalement par le fait que ces soldats, avant de se rebeller, étaient depuis leur arrivée en 1891 au service des Allemands dans les batailles contre les Camerounais.

Donc : mauvais choix stratégique/manque de réalisme des Kamerunais qui auraient pu profiter de l’occasion, mais aussi mauvais choix des Dahoméens de s’être mis au service des Allemands pour conquérir le Cameroun. Leur révolte même de 1893 prouve qu’ils auraient pu faire un autre choix que d’être le bras armé de la conquête coloniale.

3) Toujours en rapport avec cette révolte des Tirailleurs Dahoméens, c’est le grand Roi Gbehanzin qui avaient vendus ces hommes comme esclaves à un aventurier allemand du nom de Karl Friedrich Freiherr von Gravenreuth (j’espère que sa statue à Douala a été enlevée/démolie, sachant qu’en Allemagne il y a une discussion pour débaptiser les rues qui portent les noms des coloniaux, dont le sien). Gbehanzin avait vendu 370 Africains sachant bien que certains seraient utilisés comme soldats pour la conquête coloniale allemande. Comme on le sait, juste après, le Roi Gbehanzin devra lui-même mené une longue et héroïque lutte de résistance contre une autre puissance européenne, la France.

Cela n’enlève rien à la vénération que j’ai pour la mémoire du Roi Gbehanzin de dire qu’il avait fait un mauvais choix en vendant des Africains à un Européen, même si à l’époque cela se pratiquait partout.

4) Le soulèvement de Modibbo Goni Waday contre les Allemands a été écrasé en 1907, après quelques victoires militaires, à cause de la passivité des grands lamiBé comme Garoua et surtout grâce à l’aide active du Lamido de Rey qui s’était mis du côté des Allemands (refus de laisser les insurgés utiliser son territoire, fourniture de sa cavalerie aux Allemands, etc.). Dans la mesure où les masses et certains LamiBé avaient rejoint Goni Waday, ceux qui ont fait le choix contraire portent une grande responsabilité dans la restauration et la pérennisation de l’ordre colonial. C’étaient des choix stratégiques volontaires de ces LamiBé : je ne vois donc pas comment on pourrait les absoudra.

Note: JUSQU’AUJOURD’HUI LE LAMIDO DE RAY est dans la même logique centenaire de complicité avec le pouvoir exécutif de Yaoundé (colonial puis néocolonial).

Nous connaissons aussi les nombreux exemples d’Africains qui ont fait le choix de la Résistance, qui se sont sacrifiés pour la liberté de leurs peuples. Si nous élevons des statues et célébrons ces Grands Africains, nous ne devons pas fermer les yeux sur ceux qui ont fait le choix du déshonneur.

Idées et texte: Tchakounté Kémayou & Rufau Umaru

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Auteur·e

tkcyves

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