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Pourquoi la création des États-Unis d’Afrique fait-elle peur ? (4)

Comme je le démontre à travers les deux derniers derniers chapitres, la création des Etats Unis d’Afrique n’a pas seulement un enjeu historique, culturel et politique, mais aussi un enjeu hautement scientifique. Celui-ci se résume à la rupture systématique des postures scientifiquement conventionnelles et universellement admises par les officines occidentales. Les ouvrages de James Mona Georges (Stolen Légacy) et de Cheikh Anta Diop (Nations Nègres et culture) sortis en 1954 inaugurent, à l’ère contemporaine, cette rupture épistémologique. Même si celle-ci date de l’époque de la conceptualisation de l’afrocentricité, c’est avec ces ouvrages que : 1-la véritable paternité de la science et de la philosophie dont l’Occident se fait le porte-étendard est révélée au grand jour ; 2-les énoncés de ces connaissances scientifiques occidentales « volées » à l’Égypte antique ne sont que des copies falsifiées.

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Les tenants de la thèse d’une rupture épistémologique (les garvéyistes, les panafricanistes, les kémites, etc.) postulent que la référence à ces connaissances occidentales considérées comme des « copies falsifiées » ne s’auraient donc se justifier à partir du moment où l’Afrique se réclamerait le droit d’être la source originale. Cette thèse postule que les Africains doivent dorénavant questionner les théories académiques reçues depuis leur formation. Pour les afrocentristes, le mal est que les penseurs et les inventeurs occidentaux sont célébrés à la place de ceux qui sont de vrais créateurs et inventeurs. Il faut donc arrêter l’imposture et donner à César ce qui est à César.

Logiquement donc, les Occidentaux, maîtres de cette imposture, sont considérés comme des pires ennemis de l’Afrique qui empêcherait son décollage. Comme l’afrocentricité, le panafricanisme, le garvéyisme et le kémitisme, certains courants, issus du monde Occidental s’insurgent aussi contre cette manie de caporaliser le monde et faire d’autres peuples de la planète des faire-valoir. Cette posture fait l’objet de toute une campagne contre les puissances occidentales dont le fonctionnement vicieux a été mis à nu à travers la théorie du système-monde développée par les altermondialistes en l’occurrence Immanuel Wallerstein dans son ouvrage de trois volumes intitulé The Modern World-System (1974, 1980 et 1989).

L’engagement des altermondialistes contre ce système incite les afrocentristes à persister dans leur lutte. Ainsi, le retour à l’authenticité négro-africaine domine les discours. Le combat pour une indépendance intellectuelle ne sera qu’utopie si la majorité de la population Africaine, considérée comme des « acculturés » et des « incultes » selon les termes des afrocentristes, conséquence d’un endoctrinement de plus de trois siècles de civilisation et d’éducation à la culture occidentale, n’est pas mise à contribution. Cette rupture épistémologique n’est possible qu’après une sorte de ce que je pourrais appeler « le lavage de cerveau » afin de mettre en place une nouvelle génération d’Africains dignes et responsables, de faire émerger un « Africain rénové ». L’un des aspects de la campagne de sensibilisation pour reformer cette nouvelle génération est la prise de conscience de la nécessité de cette rupture.

La conscience panafricaine

Le premier challenge du mouvement afrocentriste consiste en la construction d’une identité, c’est-à-dire la construction d’un sentiment, d’une conscience collective d’appartenance. Pour Owona Nguini (Politologue, Cameroun), la difficulté réside sur le fait que l’Afrocentricité souffre surtout du complexe d’infériorité persistant chez de nombreux africains et même de l’élite. Ils sont subjugués mentalement par la référence civilisationnelle à l’acculturation occidentale pour deux raisons simples. L’esprit colonisé ne les prédispose pas à : 1-dresser un inventaire critique de l’influence occidentale en Afrique et de la nécessité pour les Africains de recourir à un droit d’inventaire pour sélectionner avec pertinence des emprunts culturels à l’occident ; 2-recombiner et réorganiser, avec un code civilisationnel africain émancipateur et émancipé, leur société qui permettra de construire conceptuellement et matériellement les bases géopolitiques et géo-économiques d’un nouveau rayonnement africain à travers l’invention d’un grand espace panafricain=Etats Unis d’Afrique=Union Panafricaine.

Au vue du constat posé par Owona Nguini, la prise de conscience à travers l’éducation et la sensibilisation des Noirs de par le monde est une priorité indéniable. Parmi les plans d’action les plus populaires de l’Unia, figurait la mise en place des sections de l’association à travers le monde. Pour ce faire, les différentes sections de l’UNIA (l’Afrique compte déjà 27 au total), travaillent sur un projet panafricanistes devant regrouper les Noirs du monde entier (africains, afro-descendants, et diasporas noires à travers le monde). Selon Bonaventure Tchucham (Juriste, Allemagne) quatre éléments essentiels constituent la Conscience Panafricaine : 1-communauté d’origine (tous les Noirs ont des Ancêtres communs) ; 2-communauté de souffrances (ces Ancêtres ont souffert et sont morts pour nous) ; 3-communauté de valeurs (une culture et une spiritualité communes nous unissent) ; 4-communauté de destin (en raison de tout ce qui précède, une destinée commune nous engage et l’Afrique est la terre d’élection de ce destin). Concrètement, de quoi s’agit-il ?

Les enjeux scientifiques de l’Afrocentricité

Pour passer de la parole aux actes, à la suite de Garvey, Molefi Kete Asante met sur pieds l’association Afrocentricity International basée en Philadelphie aux Etats-Unis, semblable à l’Unia. L’Afrocentricité se présente comme une théorie issue du mouvement social, et donc comme un paradigme, un référentiel de combat pour la lutte de libération définitive des Africains sur le plan culturel. Elle représente l’idéologie de libération la plus révolutionnaire que des Africains aient jamais produite parce qu’elle apparaît comme une synthèse critique de toutes les précédentes, depuis le « garvéyisme » jusqu’à la philosophie « diopienne » en passant par la « Kawaida de Maulana Karenga », le panafricanisme moderne et les autres. En cela, l’afrocentricité est le fruit d’une construction, d’une déconstruction et d’une reconstruction d’un schème de pensée, d’une théorie de développement basé sur une rupture épistémologique : c’est la théorie du changement social.

Bonaventure Tchucham (Juriste, Allemagne) fait de l’afrocentricité un défi scientifique. Il a été longtemps convenu et admis que les théoriciens Africains étaient incapables de produire des concepts de libération, des concepts de mouvements sociaux qui mettraient en exergue la dynamique sociale motrice du changement. L’afrocentricité va même au-delà du changement. Elle se veut une théorie de dépassement. Car elle apporte des correctifs et des rectificatifs des théories classiques à visée subversive et « in-humanisant ». C’est en cela qu’elle est considérée comme une théorie révolutionnaire. Un bref aperçu sur la construction de la pensée révolutionnaire de l’afrocentricité, telle que présentée par le juriste suscité nous en dira un peu plus sur la pertinence et la profondeur de ce concept.

1- Le capitalisme :
c’est la compréhension économique naturelle d’orientation matérialiste qui promeut la liberté individuelle et admet le conflit et la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Le résultat en est une conception euristique, conflictuelle des relations internationales qui débouchent sur le choc des civilisations et la militarisation des relations entre nations. Conséquence, ici, c’est le plus fort militairement et scientifiquement qui va l’emporter car la Terre est régie par la théorie du « système-monde ». Le hic ici c’est cette pensée unique qui considère ce type de société comme idéal. D’ailleurs, tandis que Samuel Huntington propose le choc des civilisations comme modèle des relations internationales, Fukuyama ose écrire que l’histoire est terminée et que le reste de la terre n’a pas d’autre choix que de vivre selon ce que l’Occident définit comme mode de vie.

2- Le communisme :
C’est un correctif du capitalisme. Il passe à l’autre extrême pour tenter de collectiviser l’économie, mais il n’échappe pas à l’idée du conflit, de la lutte des classes, du matérialisme historique, et se termine par des excès au moins autant condamnables que ceux du capitalisme, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons.

3- Le socialisme :
lui par contre, veut ramener les valeurs au sein de cet univers vidé de valeurs en promouvant la justice économique, l’égalité, et toutes ces valeurs qui ont progressivement ramené un visage humain au cœur de la sécheresse des doctrines du progrès à tout prix.

Ces idéologies ont forgé les classes politiques de l’Occident, de l’extrême droite à l’extrême gauche. L’Afrique, qui a perdu l’initiative historique, se trouve prise dans le feu croisé de toutes ces idéologies qu’on lui inflige depuis six cents ans (pour rester dans la période de l’histoire récente). Pour les « garvéyistes » comme Bonaventure Tchucham, le reproche adressé aux « utopistes » est le fait de ne pas souvent adopter le moindre sens critique de ces schémas idéologiques et développementistes conçus par l’Occident. Ces « utopistes » sont, comme le disent les « garvéyistes », « formatés » par la pensée unique au point de ne même pas envisager un modèle alternatif.

Or la conception économique, politique, socialiste de l’Afrique se démarque nettement de celle de l’Occident. L’Afrique a une conception communautariste de l’économie, de la société aristocratique, monarchique et du pouvoir politique.

4- Le communautarisme :
Il est fondé sur le solidarisme, mais il n’a rien du parasitisme qui a été instauré par le misérabilisme dû à de graves dysfonctionnements des « États » postcoloniaux. Le communautarisme est par essence dirigé contre l’éradication de la misère sous toutes ses formes : économique, sociale, politique. Il s’agit d’un ordre social fondé sur la participation et le travail de tous, pour tous, par tous et sur le partage c’est-à-dire la juste redistribution des richesses nationales. Pour éviter de l’enfermer sous le prisme de l’angélisme, il suffit de citer les exemples historiques de la période impériale Africaine, pour ne pas remonter plus loin, tout le monde n’étant pas d’accord – pas encore – sur le modèle de l’État pharaonique dans l’Égypte négro-africaine antique.

En évoquant la période impériale africaine, nous pouvons citer : 1-la Constitution de l’Empire du Mali ; 2-la fameuse Charte du Kurukan Fuga, encore appelée Charte du Mandé ou Manding, rédigée sous Soundjata Keita en 1226, après la bataille de Kirina, et dont le contenu éminemment communautariste est un bel exemple de ce que nous disons, avec, bien attendus, des préceptes énoncés de la manière suivante : « faites, faisons, ne faites pas, ne faisons pas ».

Malgré sa superbe clarté, l’afrocentricité est loin de faire l’unanimité entres les acteurs. Pour la simple raison que, soutient le juriste garvéyiste, les intellectuels africains, férus d’Adam Smith, de Karl Popper et de Karl Marx, dédaignent généralement le travail sur ces évolutions internes à l’Afrique, et ne veulent leur accorder la moindre valeur que sous-couvert de la validation par les « canons » établis dans les disciplines où ils ont été formatés. C’est ainsi que beaucoup tiennent le marxisme, par exemple, pour un outil approprié d’analyse des problèmes coloniaux et néocoloniaux, négligeant le fait que le racisme, qui échappe à l’analyse marxiste, est une donnée constante dans l’étude des problèmes coloniaux. Aussi épilogue-t-on sur la lutte des classes là où la lutte des races est le problème, tenant ainsi le discours dominant pour résoudre le problème des dominés. Est-il étonnant alors que le problème persiste ? Depuis que Karl Marx a tracé la frontière pour les auteurs occidentaux, le racisme né de l’eurocentrisme et du projet hégémonique de la suprématie blanche sont les prismes d’analyse de l’Afrique et des Africains.

La riposte des « utopistes » sera aussi cinglante que ce coup de gueule du « garvéyiste ».

Rendez-vous donc au prochain billet.

Tchakounté Kémayou

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