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Pourquoi la création des États-Unis d’Afrique fait-elle peur ? (3)

Obama-1Les deux paradoxes que j’ai nommés « développementiste » et « géostratégique » nous ont conduites à la conclusion selon laquelle l’Afrique, de par ses richesses diverses et diversifiées que la nature lui a octroyée, est supposée ne pas subir les affres de la barbarie humaines (racisme, immigration clandestine, guerres civiles, tyrannie, gérontocratie, etc.) dont elle fait l’objet en ce moment. Au lieu d’en jouir pleinement, elle fait plutôt l’objet de raillerie et de pitié ; le continent où les aides humanitaires sont plus d’actualité que tout autre action. Deux thèses s’affrontent pour désigner les commanditaires de ces calamités.

Deux thèses pour un même combat

Ces deux paradoxes débouchent toutes les deux sur la qualité intrinsèque des hommes appelés à gérer le destin des Africains. La problématique sur les capacités et les compétences des Africains, formés pourtant dans de prestigieuses écoles occidentales, à gérer les Etats nouvellement indépendants et fraichement sortis de la colonisation, se pose. Voici, ici les deux thèses en question :

1-Première thèse : Les Occidentaux ou ex-colons comme bouc-émissaires

Les dictatures régnantes et leur persistance sont une construction des puissances occidentales décidées à avoir un droit de regard sur la gestion des États Africains malgré la fin de la colonisation. La « berlinisation » de l’Afrique appelée « Scramble for Africa » (ruée vers l’Afrique ou partage de l’Afrique à la conférence de Berlin) commencée en 1884-1885 (premier partage) et achevée en 1914 (deuxième phase) après la seconde guerre mondiale est l’un des arguments de cette thèse qui considère la création des États et l’octroi des indépendances africaines comme de la poudre aux yeux. Car, les raisons qui ont justifié ce partage, telles que l’impérialisme économique et la civilisation culturelle et idéologique, sont encore d’actualité. Pour les tenants de cette thèse, en l’occurrence Bonaventure Tchucham (Juriste, Allemagne), Guy-Simon Ngankam (Homme politique, Canada) et Owona Nguini (Politologue, Cameroun), les pays qui se sont partagés l’Afrique ou qui bénéficient de ce partage sont encore présents. Par conséquent ils sont considérés comme le premier adversaire du projet des États-Unis d’Afrique et tout projet panafricaniste ne devrait être possible qu’après avoir débarrassé du plancher ces « colons » et « néo-colons » décidés à « se crêper le chignon » pour survivre.

2-Deuxième thèse : Les Africains comme responsables de leur propre destin

La persistance de la dictature est, d’une part, moins le fait de l’absence d’un contre-pouvoir, que de son efficacité à la résistance de la répression politique, et d’autre part, d’une volonté que les leaders politiques au pouvoir ont à vivre éternellement dans l’opulence ostentatoire. Les tenants de cette thèse, en l’occurrence Serge Bayongen (Politologue, Canada), Thierry Amougou (Economiste, Belgique), entre autres, stipulent que, malgré l’omniprésence de l’Occident à fouiner dans les affaires Africaines, toute la responsabilité des échecs dans la gestion des ressources ne saurait les incomber. Il est important et impératif de se poser la question de savoir : comment est-il possible que, malgré une matière grise en quantité et en qualité répartie dans le monde entier, personne ne réussit à démasquer la paille qui empêche le développement de l’Afrique ? Faut-il plaindre les Occidentaux pour l’incompétence et la malhonnêteté des Africains eux-mêmes ? Evidemment, pour les tenants de cette thèse, la réponse est : non, les seuls responsables des malheurs de l’Afrique ce sont les Africains eux-mêmes partisans du moindre effort et assujettis à l’appât du gain.

En conclusion, les interrogations de Jules Fogue (Ingénieur, Japon) suscitent encore plus de courroux : une fois qu’on a dit tout ça, après avoir situé le problème en posant les balises, après avoir fait le diagnostic, après avoir identifié les acteurs et trouvé les adversaires, la vraie question demeure sans réponse : comment et que faut-il faire maintenant pour que l’Afrique et les Africains comprennent ? Comment on fait concrètement pour inverser la tendance ? En fait, a-t-on vraiment identifié les causes des malheurs de ce « pauvres » continent ? Si oui, pourquoi peinons-nous tellement à trouver la thérapie nécessaire ? Evidemment, Jules Fogue, dans un forum camerounais très fréquenté par la cime intellectuelle camerounaise, n’est pas loin de nous embarrasser en convoquant la réexaminassions de tout le processus en ces termes : « Nous serons bien obligés si nous voulons avancer dans la bonne direction, de nous reposer et reposer ces questions. Contrairement à ce qu’on nous avance régulièrement, l’urgence pour nous est véritablement de penser. Ou plutôt de repenser puisque le diagnostic a commencé depuis belle lurette. Mais, a-t-on in fine fait le bon diagnostic ? That is the question ».

Les enjeux de la pomme de discorde

Dans ces deux cas de figure, parler des États-Unis d’Afrique ressemblerait à une illusion qu’à une réalité. La vérité est que ce projet de rêve de Garvey ne se réalisera pas si aucun sacrifice n’est fait. Contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, ces deux thèses sont vraisemblablement plus optimistes qu’on ne pourrait y penser. Pour la concrétisation de cet ambitieux projet, elles stipulent, implicitement, que sa réalisation ne dépendra que des Africains eux-mêmes. La seule différence ici résulte du fait que la deuxième thèse, qui n’est que la résultante de la première, laisse penser que l’Africain est seul responsable de ce qui lui arrivent et par conséquent, doit arrêter de pointer un doigt accusateur sur l’autre, doit arrêter de proclamer sa « tigritude ». Ici, l’action citoyenne doit être orientée sur la conscientisation de l’introspection collective en apprenant aux Africains à se jeter sur leurs proies et non en criant sur tous les toits du monde qu’ils sont les plus forts et les plus intelligents. La proie ici n’est pas la chasse aux sorciers qui indexerait les Occidentaux et de tous les Africains qui se réclameraient des écoles de pensées philosophiques occidentales considérés comme les porte-malheurs de l’Afrique, comme le martèlent les tenants de la première thèse. L’action citoyenne ici convoquée a pour avantage de s’exercer à la conquête du monde, d’investir les cercles de pouvoir occidentaux, afin d’inverser la donne.

Le cas du Kényan Barack Obama est illustré ici comme un exemple qui ne convient pas aux afrocentristes. Ceux-ci, pour la plupart, avaient pourtant, au début du mandat du président américain, fondé beaucoup d’espoir pour le continent Africain avec le slogan devenu célèbre : « YES I CAN ». Comme pour dire que tout est désormais possible pour les Africains. L’impossibilité de voir un noir devenir le président du pays le plus puissant du monde ne fait plus parti des contes de fées. Pour le monde entier, c’était comme un miracle de voir ce rêve, j’allais dire cette prophétie de Martin Lutter King se réaliser. « I HAVE A DREAM » qui représentait déjà cet espoir était légitime et s’était cristallisé le temps d’une campagne menée de main de maître par une jeunesse américaine excitée par ce charme. Lutter King est donc le premier homme à prédire un miracle d’une telle envergure : un homme noir d’origine Africaine à la tête du pays le plus puissant du monde ! Il a fallu du temps… Cette option de conquête des espaces de pouvoirs devrait, désormais, être considérée comme une hypothèse plausible ou probabiliste et non plus comme, c’est le lieu de le dire, une hypothèse pipée.

Même comme le rêve de King s’était réalisé, la marche du monde sous la houlette de Barack Obama est d’une déception à nulle autre pareille à tel enseigne que les afrocentristes ont définitivement tourné le dos à cette option de la conquête des espaces de pouvoirs. Il ne leur reste plus qu’à mettre un point d’honneur sur le radicalisme car ils ont fini par comprendre que l’arrivée d’un noir à la maison blanche et dans toutes autres institutions puissantes du monde ne sera que du bluff. Beaucoup d’exemples de rapprochements des Africains des cercles de pouvoir occidentaux ont été et restent jusqu’ici considérés comme des marionnettes à la solde. En dehors d’Obama, les exemples de personnalités qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux de leur fonction et de l’espoir des Africains dont ils incarnent le devenir. Condoleezza Rice, Kofi Annan et Fatou Bom Bensouda, pour ne citer que ceux-là, sont là pour témoigner. D’autres encore font même l’objet de railleries infantilisantes. Des exemples, en France, comme la ministre Taubira était illustré comme des enfants tendant une banane à la « guenon », en Italie contre la ministre d’origine kongolaise kyenge, c’est un homme politique qui appelle à son « viol ».

Aller conquérir les espaces de pouvoirs chez les autres n’est donc plus à l’ordre du jour. Pour ces afrocentristes, les Occidentaux ont tout intérêt à maintenir leur hégémonie qui n’est possible que grâce à la soumission des chefs d’Etats Africains acquis à leur cause. La meilleure posture de radicalisme serait donc de bouter hors d’état de nuire tous ces occidentaux et leurs sbires africains considérés comme des « traîtres ». Cette posture de victimisation tant reprochée aux afrocentristes reste le nœud gordien de l’opposition frontale avec l’autre camp.

Cette pomme de discorde entre les deux camps se trouve être la nécessité d’une rupture épistémologique totale tant prônée par les afrocentristes. Cette rupture est le préalable pour une éventuelle union de tous les Africains, martèlent-ils. Selon la Kémitude, aucun Africain, digne de ce nom, n’a le droit de se servir d’un autre schème d’intelligibilité autre que celui relevant de sa propre culture pour résoudre des problèmes propres à l’Afrique. Puisque l’Afrique est considérée comme la source de la science, elle ne saurait elle-même manqué de solution à ses propres problèmes. Une posture contraire est alors considérée comme une trahison. D’où le radicalisme des afrocentristes. C’est ce qui a fait dire à Stéphane Sunou (Journaliste, France) que cette posture des afrocentristes n’est rien d’autre que la propagande d’une « pensée unique » tant combattue par ceux-là même qui condamnaient la dictature de l’eurocentrisme et revendiquaient alors la priorité à une diversité culturelle et idéologique.

Malgré tout, selon les détracteurs de l’afrocentrisme, l’utopisme du projet des Etats-Unis d’Afrique, ne signifie pas que le continent est condamné à la fatalité du destin. Cela signifie tout simplement que l’option des Etats-Unis d’Afrique ne doit pas être entachée d’une sorte de racisme doublée d’une xénophobie à la limite expiatoire. La chasse aux occidentaux et aux Africains qui refusent de se plier à l’afrocentrisme à tous les prix afin que le rêve de Garvey soit une réalité un jour, ressemblerait à une dictature qui ne dit pas son nom.

Les afrocentristes s’en défendent et s’insurgent contre la vindicte populaire de leurs détracteurs. Un tour sur les contours de cette rupture épistémologique prônée par les afrocentristes nous donnera encore de quoi nous mettre sous la dent. Le débat continue dans le prochain billet.

Idées et texte : Tchakounte Kemayou

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tkcyves

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