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Monsieur Lebon et Requin, son chat

Monsieur Lebon était un homme bien. Il était même trop bien pour être un être humain. Sa bonté, j’allais dire, son humanisme était abondant et débordant. Il ne fallait pas plus pour l’aimer, pour le prendre en exemple, en modèle. Il n’avait pas que sa bonté et sa charité. Il était aussi bel homme . C’est le style d’homme charmant que beaucoup de femmes aimeraient d’ailleurs avoir dans leur vie. Plein d’amour et de charme à partager. Robuste, colosse et d’une santé de fer. Mais son défaut c’est qu’il n’aimait pas les femmes. Ah ! Oui, les femmes ! Il n’aimait pas les femmes, justement. Cette « chose » (Dixit Paul Biya à Paris) qui fait si peur et si mal dans une société où la meute fait la pluie et le beau temps-là… Cette société-là est tellement controversée qu’il ne serait pas utile de s’exposer pour avoir affaire à la meute. Mais, là n’est pas le problème ici. Le problème c’est justement Requin, son chat…

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C’était un 20 août. Je ne me rappelle plus de l’année. Tellement elle est vielle, cette histoire. Le jour et le mois reste un souvenir parce que j’avais reçu une carte postale de vœux d’anniversaire d’une de mes amies correspondante guadeloupéennes. Le net et le téléphone portable n’étaient pas encore dans nos habitudes à l’époque. Ce jour-là donc, tout le village était au rendez-vous pour assister aux obsèques de Monsieur Lebon, à Bazou, son village. C’était presque mon frère quoi. Il y avait un monde fou. Même le jour du marché n’est pas pareil. Je suis même convaincu que personne n’était resté à la maison et chacun voulait vivre ces dernières minutes pour dire un au-revoir à Monsieur Lebon qui avait subitement quitté le monde des hommes pour celui des cieux, j’allais dire de Dieu. Toute une cérémonie digne pour un homme Bon comme son nom l’indiquait. Oui, Lebon était bon ! C’est tout le village qui était venu témoigner cette bonté infinie. Je n’exagère pas ! Mais, ce qui était intéressant, c’était surtout ce qui se racontait de ce monsieur. Cette histoire a circulé dans tout le village. Même la vitesse d’Internet ne pouvait pas égaler cette prolifération, j’allais dire, la circulation à une vitesse exponentielle de cette histoire qui s’apparente vraisemblablement à une tragédie doublée d’un sens de l’humour dont seuls les villageois avaient le secret.

Monsieur Lebon était un homme solitaire. Sa particularité d’homo au milieu de la meute d’homophobes de villageois le prédisposai à la solitude. Il s’était construit une personnalité très forte de combattant et de bagarreur. Toute sa famille et tous ses amis l’avaient quitté pour ne pas être en disgrâce avec le village. C’est grâce à ses qualités d’homme intègre et loyal si fort et imposant que tout le village se pliait à ses caprices. Sa bonté en valait la peine. Même les enfants et les anciens du village ne se faisaient pas prier pour le respecter. Monsieur Lebon était connu, respecté et craint. Pas pour sa nature, mais pour ses qualités si rares de nos jours. Mais les sorciers, par contre, le respectaient pour sa nature. Ceux-ci croient dur comme fer que les homo sont de vrais démons. Monsieur Lebon était donc l’ami des sorciers du village. Et c’est ce qui surprenait les villageois qui étaient encore plus convaincus que ce type était doté d’une puissance extraordinaire.

Un jour M. Lebon voulut avoir un animal de compagnie. Son choix s’est fixé sur le chat. C’était une vielle dame sorcière qui le lui a offert. Je ne sais pas d’où était venu le nom Requin donné à ce chat. Sûrement, c’était une idée géniale de son nouveau maître. Mais, ce nom lui convenait tout de même. Parce que ce chat était d’une rapidité incroyable quand il se jetait sur une proie. C’était un animal tout blanc et poilu. Au début, Requin était tout petit et tout mignon. Ah ! Oui, ce chat était mignon . Avec le temps Requin avait grandi. Il avait pris de la forme et du poids. Gros et bien dodu,il ne ressemblait même plus à un chat. C’était vraiment un requin, comme son nom l’indique. Monsieur Lebon prenait vraiment soin de lui, il était vraiment devenu son ami, son compagnon. Certains villageois sont même allé jusqu’à déclarer que ce chat était son totem. Monsieur Lebon et Requin mangeaient ensemble, se promenaient ensemble, dormaient ensemble dans le même lit, et que sais-je encore ? Requin ne mangeait pas n’importe quoi. Ses repas provenaient tout droit de la ville. C’était toujours des conserves importées. Requin ne savait même pas attraper les souris. Il s’en moquait éperdument et attendait seulement son repas importé et bien parfumé. Monsieur Lebon et Requin, son chat, étaient amis et avaient une complicité à nulle autre pareille. La nature sexuelle qui prédisposait Monsieur Lebon à la solitude dans une société d’homophobes, trouvait sa quiétude en compagnie d’un animal qui n’avait de souci que pour vivre. Cette amitié entre l’homme et son animal de compagnie était variablement appréciée par les villageois qui trouvaient, pour les uns, que Monsieur Lebon en faisaient trop pour un simple animal au milieu des personnes qui l’entouraient, et pour les autres, que Monsieur Lebon est libre de vivre avec un animal puisque l’environnement ne le permettait pas de vivre, de partager sa vie avec un homme. Les filles n’attendent que ce genre d’homme, gentil, large, charitable, mais ce genre d’homme n’aime que les hommes ?! Quel paradoxe, auraient susurré certains.

Un soir, fatigué et épuisé de son voyage, Monsieur Lebon ne trouvât utile que de se reposer. Requin n’avait pas mangé depuis le matin et trois jours de suite. Son maître avait oublié de lui faire son repas comme d’habitude. Vous savez vous-même comment une femme se comporte à votre arrivée lorsque vous l’avez abandonné pendant plusieurs jours sans nouvelles et sans laisser le moindre sous pour la subsistance. Requin était donc semblable de ce genre de femme en ce moment-là. Nerveux et triste. Coincé dans un coin et tétanisé par une disette de trois jours. La propreté de la maison n’attirait même pas les rats et Requin n’était pas habitué aux promenades à la recherche des repas. Son maître prenait suffisamment soin de lui et il était interdit au chat de foutre son nez dehors. Voilà donc Monsieur Lebon qui entre dans la salle de douche sans même faire attention à son amour de Requin. Que lui était-il arrivé pour oublier Requin à ce point ? Avait-il pris un verre de trop ? Il n’en avait pas l’habitude car il détestait même l’alcool. En tous les cas, c’est le destin, diront certains. A la sortie de sa douche, Monsieur Lebon n’a pas noué sa serviette comme d’habitude. Il sort en balançant son zizi dans tous les sens dans une chambre à demi obscure. Requin ne s’est pas fait prier pour bondir sur les « noyaux » de Monsieur Lebon en pensant que c’était une souri. En une fraction de seconde, les cris de Monsieur Lebon ont réveillé tout le village. Même le Roi Kemayou est sorti ? La police. La gendarmerie. Le préfet et le sous-préfet. Requin ne voulait pas lâcher malgré la force tenace des colosses villageois qui ont défoncé la porte pour sauver Monsieur Lebon déjà agonisé. Le sang jaillissait et avait inondé la chambre. Que s’est-il donc passé ? Personne n’aurait su à l’instant. Immobile et inerte, Monsieur Lebon ne répondait plus aux appels des villageois qui tremblaient. Direction, dispensaire de la place. Le médecin-chef, après avoir vu le corps ensanglanté, convainc les villageois de le mettre à la morgue : « C’est fini pour lui » tranche Dr Aurélien Nyamssi. L’embarra et la stupeur emportent les villageois. C’est l’euphorie totale. Même l’intervention du Roi et du préfet ne convainc pas les villageois à garder leur calme. Seule une méchante pluie était venue disperser la foule qui a finalement résolu se remettre au lit. Erreur. Personne n’a dormi ce jour-là. L’aube est venue trouver un événement tragique et malheureux. Ce climat était resté intact jusqu’au jour des obsèques de Monsieur Lebon.

Les obsèques étaient donc une occasion de tendre l’oreille pour connaître cette histoire qui a fait bouger tout Bazou, petit village situé dans le département du Ndé, à l’Ouest du Cameroun. Mais le hic dans les commentaires des villageois, c’est le ridicule et la risibilité contenue dans les commentaires lugubres de ces villageois. Tantôt, c’est la sanction que Dieu réserve pour les pédés, tantôt c’est un coup monté ou un règlement de compte de la sorcière qui lui a offert le chat, car elle avait peur, dit-on, de la puissance de l’homo si celui-ci venait à entrer dans la confrérie, tantôt ce sont les parents d’enfant qui ont ensorcelé le chat pour tuer Monsieur Lebon, car dit-on toujours, ils avaient peur que Monsieur Lebon pourrisse la vie des enfants qui l’aimaient, etc. Tout a été dit pour justifier cet étrange destin. Que du paranormal dans tout ça ! A part l’explication des enquêteurs qui avaient donné la version selon laquelle le chat était resté affamé pendant longtemps, il n’y a eu aucune autre explication valable. Ni le chat, ni la sorcière ne sont introuvables à ce jour. La sorcière a pris une direction inconnue lorsqu’elle a appris qu’elle devrait être lynchée par la meute d’homophobes. C’est ce qui, pour certains, confirme la thèse de la complicité de la sorcière.

Pauvre Lebon !

Tchakounté Kemayou

A la suite de la session 2014 de la formation des mondoblogueurs à Abidjan, les billets ont été rédigés pour les ateliers. Malgré mon absence pour des raisons que vous connaissez certainement, j’ai tenu à partager mes billets qui ont plu à beaucoup et qui estimaient que je devais, malgré tout, les publier. L’un des billets les plus intéressants et teinté de drôleries et d’humours est celui que je vous propose dans les lignes qui suivent. Je rappelle, à toute fin utile, que c’est une histoire vraie, sauf les noms de personnages sont des noms d’emprunt. Je profite aussi pour vous annoncer la création de deux rubriques dans mes catégories intitulées : « Fiction » et « Portrait ». Comme leur nom l’indique, celle-ci fera le portrait d’un citoyen du monde qui n’est pas nécessairement une célébrité, mais une personne qui se distingue par sa volonté à surmonter un obstacle naturel ou non pour donner un sens à sa vie. Ce sont en quelque sorte des héros silencieux pour qui l’on devrait avoir de l’admiration malgré leur impuissance à dompter ce que le destin leur a réservé. L’autre, par contre, est bien une histoire drôle et délirante venue tout droit de mon imagination plus ou moins fertile à partir d’une histoire vraie que j’assaisonne et je pimente. Une histoire que j’ai vécue ou qui m’a été raconté. Voici donc mon premier billet de ma rubrique « Fiction » : Monsieur Lebon et son chat, Requin.

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Auteur·e

tkcyves

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