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L’inhumation de la belle-mère de Paul Biya à M’voméka fait jaser

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La regrettée Madame Mboutchouang, née Ndongo Mengolo Rosette Marie

C’est le 2 octobre dernier que la mère de la première dame, Chantale Biya, est décédée. Rosette Mboutchouang a été inhumée ce vendredi  (17 octobre 2014) à M’vomeka, village natal du président Paul Biya, son beau-fils. L’implication de la Direction du Cabinet Civil de la présidence de la république a vite fait de donner, à ce qui était considéré comme un deuil familial, une allure d’obsèques officielles. Du coup, l’inhumation de la belle-mère dans le caveau familial du président Paul Biya fait jusqu’aujourd’hui l’objet des commentaires sur ce qu’on peut appeler la forfaiture de la famille présidentielle pour avoir enfreint les habitudes liées aux principes qui voudraient que le corps d’une femme mariée à l’état civil soit la propriété exclusive de la famille de son mari.

Pendant toute une semaine, depuis le 13 octobre 2014 jusqu’au vendredi 17 octobre, jour des obsèques, la capitale Yaoundé a vécu des moments forts de mobilisation de tous les personnels de l’administration publique. Pendant deux à trois jours, les rues de la capitales ont connues des embouteillages dus aux barrages dressés sur des rues principales pour causes de deuil : levée du corps, messe funèbre, veillée et départ pour le village M’voméka, au Sud du pays. Mais, ce qui fait jaser dans les chaumières, c’est cette attitude qu’à Paul Biya devant la mort de ses proches :

Sa maman est morte, il a été discret ; son grand-frère est mort, il a été discret ; sa première femme est morte, il a été discret ; la maman de sa deuxième femme meurt, c’est trois jours pratiquement fériés et chômés à Yaoundé, l’ensemble des médias qui sont mis en alerte, c’est 24/24 dans la chaîne d’Etat, c’est le ballet en haut, c’est le ballet en bas. La différence ? Sa maman, son grand-frère, et sa première femme étaient des êtres discrets – pas Chantale. (Patrice Nganang).

La personnalité de Chantale Biya est d’un caractère imposant. C’est une femme qui veut marquer sa présence par une « diplomatie de présence » qui fait dire à beaucoup d’analystes qu’elle est souvent à l’origine de certaines décisions présidentielles. Elle a donc sa marque dans le système. Il est aussi évident que les décisions les plus rocambolesques comme celle de l’inhumation de sa mère dans la concession de son mari sont perçues comme une forfaiture.

La mainmise des hommes de pouvoir sur les des médias

Le ministre du travail et de la prévoyance sociale, par ailleurs secrétaire général du RDPC, parti au pouvoir, a fait une sortie fracassante qui est semblable à une mise en garde de la presse Camerounaise qui a fait de ce deuil ses choux gras :

Alors de grâce, respectons la mort, puis respectons la défunte, puis taisons nous et prions Dieu pour elle, pour tout le bien qu’elle a su et pu faire. Merci et pardon à mes Amis et mes Ennemis de la presse camerounaise pour ce rappel afin que nous puissions, si cela est encore possible pour chacun d’entre nous, rester décents, dignes et sereins pour l’accompagnement de cette grande Dame.

Il serait particulièrement important ici de commencer ce billet par signaler que dans l’opinion collective au Cameroun, l’image que les citoyens portent sur Chantal Biya n’est pas particulièrement reluisante. C’est un fait qui ne trompe pas lorsque l’on évoque son nom au détour d’une conversation. La mort de Jeanne-Irène, la première femme de Paul Biya, survenue en 1993 (si ma mémoire ne me joue pas de sales tours) a laissé un souvenir amer sur les circonstances de sa mort. Beaucoup des dits et des non-dits ont été dits sur la disparition de cette femme de caractère, simple et modeste, infirmière de son état, qui avait l’art, semble-t-il, de comprendre et de maîtriser les arènes du pouvoir que son mari. Ce souvenir reste, jusqu’à ce jour, nostalgique chez ceux qui admiraient son charisme. Chantale Biya qui est l’actuelle première dame n’a pas encore ou ne réussira jamais à changer la sympathie que les Camerounais avaient pour Jeanne-Irène. Son style, son accoutrement, et sa coiffure d’une extravagance sans commune mesure ont toujours fait l’objet des critiques et d’un certain dédain. Certains Camerounais commençaient même déjà à se remémorer de l’image de la simplicité de la feu Jeanne-Irène. En plus, un certain mystère continue d’être entretenu sur la personne même de Chantal Vigouroux (son nom de jeune fille) qui est connue comme une fille de nuit avant d’avoir épouser le président de la république. Une fille mondaine, donc. En écrivant donc ce billet, j’ai donc pensé qu’il faille mettre mes lecteurs que vous êtes dans le bain de cette atmosphère qui est celui de la suspicion lorsqu’on fait allusion à Chantale Biya. Car le mystère qui entoure le personnage est systématiquement entretenu par les hommes de pourvoir et les grands commis de l’Etat qui vont jusqu’à mettre la pression dans les rédactions des quotidiens locaux pour éviter que cette image que l’on dit loufoque s soit exposée sur la place publique. La raison, nous la savons et la voyons tous : Chantal Biya est un des syndromes les plus palpitants de la malfaisance qu’est ce régime.

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Le couple présidentiel au perron de la Cathédrale de Yaoundé

Chaque fois que le nom de la première dame est mêlé à quelque sordide histoire, on ne peut donc s’empêcher d’assister à des débats émotionnels et sensationnels, mais qui ne sont pas dignes de moins d’intérêts. Cette perception qu’ont les Camerounais de l’actuelle première dame : « femme de nuit », donc de femme « difficile » de Chantou (comme l’appellent affectueusement les Camerounais qui ont fini par se familiariser à elle) est pour beaucoup à l’origine de cette décision d’inhumer sa mère dans le caveau familial de son mari, président de la république. C’est ce que beaucoup ont appelé « la confiscation des « biens » de Monsieur Mboutchouang », le désormais veuf. Pour les défenseurs de cette thèse ubuesque, la famille présidentielle a abusé du pouvoir pour enfreindre la loi du mariage qui veut que la dépouille de la d’une femme décédée appartienne à son mari et sa belle-famille. On ne pourrait donc expliquer autrement cette décision qui frise le ridicule. Des arguments allant dans ce sens évoquent même l’hypothèse de la tradition pratiquée dans la région de l’Ouest Bamiléké qui voudrait qu’une femme dotée devrait être la « propriété » du clan d’adoption. Badenkop qui est le village natal du veuf, avait même honoré la regrettée Rosette au rang traditionnelle de Maffo (Reine-mère), titre donnée aux femmes qui se sont illustrée par leurs services rendus au village. Elle était donc considérée comme l’une des personnalités de premier rang du royaume. Elle avait donc droit, en tant que fille par alliance (par la dot), aux cérémonies traditionnelles dues à son rang. Rosette était même vénérée par la population qui l’a élue, pour la seconde fois, maire de Bangou en 2013. L’évidence est donc là ! Le pouvoir et l’argent en ont décidés autrement, laissant tout le village et Monsieur Mboutchouang, plus veuf que jamais, sans caleçon en plein carrefour. Le pauvre !

Le contre-pied d’un notable : Albert Dzongang

Albert Dzongang, homme politique et notable dans la région Bamiléké à l’Ouest Cameroun, dans une interview du quotidien Le Messager, évoque le principe selon lequel « la dépouille d’une femme décédée reviendrait à son mari n’est toujours appliquée à la lettre ». Pour lui, dans chaque famille, il y a des particularités et des spécificités qui échapperaient à tout étranger qui ne maîtriseraient pas les tenants et les aboutissants d’une décision considérée comme non-sens. Avant d’en faire un commentaire, je vous livre un extrait de cette interview :

Chez les Bamiléké il y a ce que l’on appelle discussion. Quand une femme a connu deux hommes avec des enfants à la clé, le lieu de l’enterrement est l’émanation du choix des enfants nés de différents endroits qui s’accordent sur ce lieu. Dans le cas d’espèce, Rosette n’avait pas d’enfant avec Ernest Mboutchouang né à Bandengkop. Dans nos traditions, les morts ne sont pas morts. Nous sommes tenus de les vénérer. Chez les Bamiléké cela se symbolise par l’enlèvement du crâne ou la fête annuelle pour les temps modernes. Croyez-vous que l’unique fille (Chantal Biya) et les petits enfants, qui ne sont jamais allés à Bandengkop, iraient déposer des gerbes de fleurs sur la tombe de la maman ou de leur grand-mère ? Le premier choix du lieu d’enterrement n’appartient pas à Monsieur Biya, ni à Ernest Mboutchouang. Mais à Mme Chantal Biya. Par ce que sa mère n’était pas mariée à son père. Cela signifie que normalement la dépouille de la maire irait chez le premier mari qui aurait doté la femme, monsieur Vigouroux. A la mort de Rosette, combien de personnes sont supposées être attachées à son histoire ? D’emblée son mari, sa fille, Chantal Biya, ses petits-enfants. Si on fait le vote de façon démocratique, c’est le côté de sa fille et ses petits-enfants qui prédomine. De ce point de vue, Rosette ne peut qu’être enterrée qu’à un endroit où son enfant et ses petits-enfants auront un accès facile. Comme il est établi que Paul Biya a doté Chantal, c’est son épouse, sans polémique aucune, ils ont des enfants. Chantal Biya ne pourrait en aucun cas être enterrée ailleurs si elle avait eu un deuxième homme. Elle sera enterrée à Mvomeka’a. Dans cette optique, il est de bon ton qu’elle inhume sa mère là où elle-même sera enterrée avec ses enfants et petits-enfants.

Il s’avère d’abord important de relever quelques principes : 1-Rosette Mboutchouang a vécu avec deux hommes et a eu une seule enfant qui est celui du premier, donc Chantale Vigouroux ; 2-Selon la tradition Bamiléké, la dépouille appartient au premier, mais n’ayant ni doté ni épouser à l’état civil, cette dépouille ne lui appartient donc plus ; 3-Même si Monsieur Mboutchouang ne l’a pas doté, il est évident que qu’il a épousé Rosette à l’état civil puisqu’elle portait son nom. Théoriquement, donc, c’est à Monsieur Mboutchouang que revient la décision du lieu d’inhumation ; 4-Il est donc absurde, pour Albert Dzongang, d’être certain que Paul Biya a doté Chantou et d’émettre des doutes sur la dot de Mboutchouang. Cette posture a pour but de justifier l’acte du couple présidentiel qui relève de la forfaiture, du rapport de force, car Mboutchouang n’a rien à dire et est invité à la fermer. Il est évident qu’il peut rien face une intimidation invisible mais compréhensive. A la suite d’Albert Dzongang, on se serait attendu que la dépouille soit remise à la famille de Nanga-Eboko, village d’origine de feue Rosette.

Une affaire strictement familiale

Cette affaire a fini par mettre de l’huile sur le feu à tel point que les voix se sont élevées pour demander aux Camerounais de ne pas se mêler de ce qui ne leur regardait pas. Certains trouvent donc que c’est une affaire strictement privé et familiale et que les positions des uns et des autres ne changeront rien. Extrait du coup de gueule de Mathieu Youbi :

De quoi parle-t-on ? D’enterrement qui se passe ailleurs autre que là où ça devrait se passer ? Mais pourquoi devrons nous réfléchir à la place des autres pour des problèmes qui ne nous concernent pas ? Oui elle était marié à un bamiléké, ce bamiléké a peut-être voulu qu’elle soit enterré au prés de sa fille unique, c’est possible, qu’en savons-nous ? L’époux est-il majeur ? S’est-il plaint ? Alors nous parlons de quoi ? Tout couple a ses secrets, sommes-nous dans leur secret ? Ceci pour dire que NOUS sommes mal placés pour débattre des choses d’un couple majeure. Ces questions pour dire cessons de discuter avec l’affection et surtout sachons rester à notre place. Par ailleurs, pour ceux qui sont dans les arcanes du pouvoir et qui savent comment ce couple en est arrivé là, cette dame fut mariée avant, tout comme l’époux à d’autres femmes et fut le mari pour combler une circonstance, je dirais même que ce fut un mari protocolaire et donc de quoi parlons-nous ? J’entends parler de crane, quelle hypocrisie, cette femme n’a aucun enfant avec son époux, les qui vont s’incliner sous ce crane ? Ce monsieur n a pas construit de case au village, alors où va rester le crane ?

Il faut tout simplement dire, pour répondre à Mathieu Youbi : 1-que cette affaire familiale serait loin d’être strictement privé puisqu’il relève du couple présidentiel ; 2-Cette forfaiture ou mieux cette injustice fera jurisprudence désormais. On ne peut donc considérer que cette affaire relève de la banalité en insinuant que « NOUS sommes mal placés pour débattre des choses d’un couple majeure ». Autrement dit, comme le Cameroun c’est le Cameroun, on assistera désormais aux querelles de familles où la plus riche exigera la dépouille de leur fille civilement mariée à un homme qui aura la malchance de n’avoir ni argent ni pouvoir. C’est justement où se trouve l’enjeu de cette affaire considérée à tort comme « des problèmes qui ne nous concernent pas ».

Tchakounté Kemayou

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tkcyves

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