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Les leçons des attentats de Paris

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La France vient de connaître une semaine folle et riche d’émotions. Il ne s’est pas passé une seconde sans que le monde ne soit informé de l’évolution de l’actualité qui a débuté le mercredi 7 janvier 2015 et qui s’est achevée avec la grande manif dénommée « La marche républicaine » du dimanche 11 janvier. Les commentaires des internautes camerounais ne finissent pas de pleuvoir et donnent à voir les camps et des opinions aussi diverses que multiples. Sans doute que l’heure est venue de tirer les leçons d’une des semaines sombres de l’histoire de la France du 21e siècle.

Une mobilisation médiatique à la dimension des attentes : les records  et émotions

Si on ne pouvait s’en tenir qu’aux chiffres, tous les records ont été battus : c’est la plus grande frappe terroriste que la France ait connue jusqu’ici : au compteur, 17 morts innocents ; les 3 terroristes tués et une en fuite, la femme d’Amedy Coulibaly qui est recherchée par la police française ; plus de 4 millions de manifestants donc 47 chefs d’Etat et de gouvernement venus du monde entier et, pour boucler la boucle, 5 millions d’exemplaires du numéro de mercredi de Charlie-Hebdo vendus à ce jour et plus de 15 millions de lecteurs. Revendiqués finalement par Al-Qaïda dans une vidéo publiée le 14 janvier, ces attentats de Paris n’en finissent pas d’indigner le monde entier et plus particulièrement l’opinion africaine. Unanimes sur la nécessité de dompter à jamais le terrorisme international, certains ne semblent pas s’accorder quant à l’agitation, qualifiée de « géométrie variable », faite autour de ces attentats ignobles.

L’une des victoires de la mobilisation, j’allais dire, de l’alerte et de la communication autour de ces attentats, c’est le réel déploiement des médias français : Unes et live 24h/24 du mercredi 7 au dimanche 11. Les journalistes, les éditorialistes, les hommes politiques, les analystes et bien d’autres sont venus sur les plateaux réagir à ces évènements tragiques. La charge émotionnelle dont ont fait preuve particulièrement les médias français a tôt fait d’envahir même les Africains. Qui pouvait alors imaginer un seul instant que six chef d’Etat africain allaient aussi faire le déplacement pour Paris afin d’assister à « la marche républicaine » ? Il est donc important de signaler ici que le rôle des médias, au-delà de l’information, est de susciter une réelle adhésion à une certaine cause, une certaine valeur, bref à la transformation de l’opinion. La preuve est formulée par cette manifestation du dimanche qui n’a pas cessé de susciter la gêne des Africains, en particulier.

L’extravagance et la prestidigitation ostentatoire

Ce qui est extraordinaire dans tout ça, c’est le fait que l’événement ait mobilisé un monde d’une telle ampleur allant jusqu’à 4 millions de manifestants. Jamais dans l’histoire de la France une manifestation de rue n’a connu un tel record  :« Ce qui en fait la particularité, c’est moins le rassemblement que la marche » (Dixit ShandaTonme). L’autre spécificité est que pour la première fois dans le monde, des chefs d’Etat et de gouvernement en exercice sont descendus dans la rue pour manifester.

Pour certains, l’extravagance viendrait de l’hypocrisie de certaines personnalités présentes à cette marche parisienne. Les gens de bonne et de mauvaise foi se retrouvent ensemble et donnent l’impression que la paix a enfin un sens. Ainsi nous avons pu voir côte à côte, des personnalités et des leaders mondialement connus pour leurs oppositions tranchées sur diverses questions. L’Israélien et le Palestinien se serrant la main, montant dans un bus ensemble, n’est-il pas un signe, pour les naïfs, de ce qu’on pourrait appeler « cohabitation pacifique » ? Cette extravagance dans la démesure est bien ressentie par les Africains eux-mêmes qui n’arrivent toujours pas à comprendre comment un chef d’Etat africain, digne de ce nom et dont la spécificité culturelle est la solidarité entre les frères, bref les humains, peut rester froid aux souffrances des siens à un jet de pierre et aller consoler un ami lointain à plus de 6 000 km de lui ! Jamais dans l’histoire de ce monde un pays n’a autant mobilisé les chefs d’Etat pour une marche. L’émotion suscitée par les médias n’a donc pas épargné les chefs d’Etat africains qui ont malheureusement oublié qu’ils avaient eux aussi des terroristes qui continuent de faire des victimes chez eux et chez leurs voisins les plus proches.

La dialectique du Blanc et du Noir

Une autre leçon, et pas la moindre, et qui est aussi une conséquence de cette prestidigitation ostentatoire, à tirer de cette analyse est que les morts ne se valent pas. Le deuil du Blanc fait plus de tapage que celui du Noir. C’est l’occasion ou jamais de se faire voir pour s’attirer la sympathie de ceux qui pensaient qu’il (le pauvre) ne saurait côtoyer les grands milieux. Pourtant, et c’est le plus scandaleux, « les émotions vives et les compassions ostentatoires peuvent cacher en fait des appréhensions dangereuses et des certitudes impopulaires ». C’est la dialectique du Blanc et du Noir. Au plan macro, cela est bien illustré par l’internationaliste Shanda Tonme pour qui :

« Les chefs d’Etat africains […] sont […] plus prompts à se déranger pour la France et à foncer à Paris, qu’à se déranger pour le voisin immédiat du continent et à foncer à Abuja, Addis-Abeba ou Yaoundé. La dialectique du Noir et du Blanc, de l’Occidentalo-Européo-Américain d’une part et du Négro-Afro-Sahélien est une réalité dans la configuration des relations internationales et de l’agencement des rapports des forces diplomatiques. La mort d’un Noir n’emporte pas la même émotion caractérielle et affectueuse que la mort d’un Blanc, au sens de l’interprétation des jeux et des enjeux diplomatiques qui s’étalent sous nos yeux au fils des décennies, des crises, des drames et des génocides. Il ne faut jamais oublier que l’histoire de l’humanité tarde encore et toujours à s’écrire en lettres de justice, de vérité, d’équité et d’égalité. »

Pourquoi lier la dialectique du Noir et du Blanc aux attentats de Paris ? Eh ben, l’internationaliste répond lui-même par ces termes :

« Parce que vous ne pouvez pas mêler dans une même marche des gens aux mains ensanglantés réellement ou virtuellement, en proclamant l’unité morale et éthique du monde contre le mal terroriste. Pour le citoyen africain qui n’a jamais connu d’élection libre ou qui vit sous le chantage permanent des Constitutions que l’on change comme des mouchoirs jetables au gré des ambitions des monarques régnants, les assassins de Paris relèvent d’une autre planète au mieux, et au pire ils participent du même crime de destruction de tout espoir pour les êtres humains que des dignitaires qui confisquent le destin des peuples avec des régimes autocratiques. C’est cela le dilemme. »

Le terrorisme international : la solution est politique

Sans toutefois justifier les actes barbares perpétrés par les deux frères Kouachi et par Coulibaly, il est temps de mettre sur la place publique toutes les plaies béantes des superpuissances qui entretiennent volontairement le déséquilibre d’une justice à géométrie variable. L’abcès doit donc être crevé. Il s’agit ici de faire le constat alarmant, et difficilement accepté par hypocrisie, selon lequel les terroristes ne tombent pas du ciel. Ils sont les produits de notre société. C’est fort opportunément que certains, et je dirais même beaucoup, de Camerounais se sont exprimés pour s’indigner que, et c’est ça la conséquence de la dialectique exposée plus haut, 17 morts aient occupé l’actualité sans partage.

Quelques extraits des publications des internautes s’offusquant d’une justice à double vitesse entretenue par les puissants du monde ouvrent le débat sur la nécessité de la remise en cause de cet équilibre mondial. Et c’est Claude Abate qui attire l’attention de ses lecteurs sur cette contradiction alarmante à travers des questionnements :

1. Peut-on déployer les grands moyens quand il s’agit de lutter contre le terrorisme à l’intérieur et lutter « à minima » avec des moyens réduits à l’extérieur quand il s’agit d’éradiquer le terrorisme qui menace gravement nos pauvres États africains d’aujourd’hui ? 2. Peut-on véritablement lutter contre les djihadistes et islamistes radicaux à l’extérieur tout en laissant leur principal financier et pourvoyeur de fonds émirati du golfe organiser une Coupe du monde chez lui et investir massivement et tranquillement à l’intérieur des frontières « démocratiques »? (…) Le terrorisme n’a pas de frontière ni d’amis. Il frappe lâchement partout quand bon lui semble au gré de ses humeurs et au mépris de vies innocentes ou coupables.

Le problème est donc politique, comme l’affirme l’internationaliste Shanda Tonme dans une lecture triptyque qui intègre tous les paramètres historiques, sociaux et culturels :

Personne ne naît terroriste, mais des régimes politiques et des systèmes de gouvernance peuvent se bâtir a priori sur des bases terroristes. Ainsi donc, pour vaincre le terrorisme, il faudrait au préalable penser à déconstruire le cadre institutionnel qui secrète le terrorisme. 

Ne convient-il pas de mentionner, à la suite de Claude Abate et de ShandaTonme, que le niveau de démocratie atteint par les puissances de ce monde est le fait même d’avoir, de par leur puissance économique, développé des rapports de force qui n’ont donc eu de conséquences que ce déséquilibre tant décrié. La démocratie et la liberté n’étaient-elles seulement possibles qu’à ce prix ? Ou alors c’est la politique de : « L’enfer c’est les autres » ? Pour mémoire, ces puissances ont quand même connu des périodes de luttes âpres pour atteindre cette étape de liberté et de démocratie enviable.

La laïcité doit triompher

Cela fait exactement 110 ans que la France a dit « Non » au dogmatisme religieux. Cette bataille des révolutionnaires avait pour but de cantonner l’église dans la sphère religieuse en écartant de la sphère publique. Le journal Charli Hebdo est donc le fruit de cette bataille pour la liberté arrachée aux religieux.

Pendant ce temps, en Afrique, cette liberté gagnée par la France est encore à conquérir. Les attentats de Paris sonnent comme une alerte aux esprits malins. Et c’est bien Jean-Paul Pougala qui sait mieux le dire :

Quand on regarde en 2015, ces comportements créationnistes des dirigeants africains, on est à coup sûr certain que nous sommes un vrai poids mort pour l’humanité. Pour en sortir, nous devons au plus vite faire vivre la laïcité dans nos Etats afin que l’école soit un sanctuaire pour former le citoyen averti de demain, où il sera interdit tout dogme religieux qui nous ramène droit vers le Moyen-Age. Il n’y a pas de compromis entre la République et la Nation de Dieu. 

Les conséquences des attentats de Paris pour le Cameroun

C’est en 2001, après les attentats du 11-Septembre que les terroristes d’Al-Qaïda ont commencé à faire parler d’eux dans le monde… La France vient donc d’affronter l’horreur en plein cœur de Paris. Interviendra-t-elle au Cameroun après être intervenue au Mali ?

Biya a déjà demandé [Dans son discours lors des présentations des vœux du corps diplomatique accrédité à Yaoundé le 7 janvier dernier]une intervention extérieure, après que le chef de BokoHaram l’a appelé nommément dans une vidéo diffusée et authentifiée le 5 janvier dernier.

Jusqu’ici passifs, les Camerounais sont subitement solidaires des victimes du terrorisme de leur pays, plus particulièrement de la région de l’Extrême-Nord.

C’est l’une des leçons les plus fortes et les plus importantes que les attentats de Paris ont apportées au peuple de ce pays : il faut pleurer d’abord ses morts avant d’aller pleurer au deuil de son voisin. Avec plaisir, les Camerounais ont repris le slogan « Je suis Charlie » pour finalement le transformer en « Je suis Kolofata » (Village le plus touché par les attaques de Boko Haram), « Je suis Nord-Cameroun », « Je suis l’armée camerounaise » pour soutenir les forces armées qui ont déjà perdu plus de 40 soldats à ce jour, et surtout le slogan « Perdons pas le Nord ».

TchakounteKemayou

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tkcyves

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