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Journée internationale des personnes handicapées : la mort dans l’âme mais plein d’espoir

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Le jour de l’inauguration du cybercafé offert aux handicapés de Bépanda par Nous Sommes Là

Qui parmi vous aviez pris l’habitude de me lire et me voir me défouler dans mes diatribes saviez ce qui se passe dans le monde chaque 03 décembre ? Honnêtement, beaucoup ne savent pas que le monde entier, depuis 1992, est campé sur la personne handicapée que je suis, j’allais dire des personnes handicapées.

Depuis 2013 que j’anime ce blog, et même depuis 2006 ou 2007, si mes souvenirs sont bons, que je fréquente les réseaux sociaux, j’ai toujours eu à considérer qu’une journée internationale ne voulait absolument rien dire si les personnes handicapées ne voyaient pas leur sort changer d’un iota. Pour moi, cette journée, de même que beaucoup d’autres qui existent d’ailleurs, n’avait aucune importance compte tenu du fait de la non-matérialisation des promesses au fil des années. D’ailleurs, la conscience collective continue de ne même pas en douter de son importance. Pourquoi devrais-je me gêner d’y consacrer mon temps, mon argent et mon énergie pour écrire, crier et parler d’une chose que chacun est censé connaître la pertinence ?

La raison la plus fondamentale de mon aversion, à ces journées internationales, est qu’il y a une véritable cohue Bohus dans le choix des dates, des thèmes et des objectifs purement ataviques. Dans le site le plus connu dans le listing des journées internationales au monde, journee-mondiale.com, on peut répertorier au total 410 journées internationales et mondiales dans le monde. Parmi elles, nous pouvons distinguer les journées internationales qui ont été instaurées pour promouvoir la paix, le tennis, la courtoisie au volant, le scoutisme, la femme, pour lutter contre le Sida, le paludisme, le cancer, etc. En résumé, il n’existe pas d’instances reconnues compétente pour instaurer une journée internationale ou mondiale. Il n’existe donc aucune harmonie et le désordre est alors resté maître dans l’instauration de ces journées. Il faut tout de même noter que certaines journées, que je peux comptabiliser à 124, ont été l’apanage de l’ONU, gros pourvoyeur. Elle y est associée avec ses agents comme OMS, OIT, Unicef, Unesco, etc. Pour l’histoire, le 10 décembre 1948 a été considérée comme première journée mondiale et a été consacrée aux droits de l’Homme. Le record le plus spectaculaire reste la date du 21 mars qui, à elle seule, viennent se greffer huit journées internationales (la musique ancienne, le rangement de bureau, l’élimination de la discrimination raciale, la marionnette, la lutte contre le cancer, la poésie, la forêt et la trisomie 21). Au fait, toute cette petite litanie pour vous montrer comment cette cacophonie a créé l’embrouillamini dans mon esprit. Cette raison est loin d’être la seule. Elle est tout simplement celle qui a plombé mon optimisme.

Qu’est-ce qui a donc changé mon regard cette année pour que j’en parle avec autant de ferveur et vigueur ? Je dois avouer, malgré tout, que cette perception d’inutilité de cette journée continue de me hanter bien que je sois animé d’un sang froid aussi perspicace soit-il. Trois raisons fondamentales ont donc milité en faveur de la rupture de mon silence :

1- Journée internationale comme outil très puissant de la communication : Cela pourrait être une évidence, mais beaucoup parmi vous n’y pensait même pas. Au fait, les journées internationales ont toujours été pour beaucoup d’entre vous, y compris pour moi-même, des périodes festives (Journée internationale de la femme, Journée du 14 février réservée à l’amour, etc.) et des périodes réservées aux maux sociaux ou aux maladies comme le cancer, le Sida, l’excision, le handicap, etc. Il devient important de signaler que l’objectif premier de ces journées, c’est la sensibilisation et la conscientisation. La force de la communication déployée ici pour mettre en exergue la nécessité de nous pencher un temps soit peu sur les effets que peuvent causer les maux et ses maladies peuvent constituer un catalyseur. Les outils de communication du 21ème siècle (L’internet, le Smartphone, la tablette, etc.) sont suffisamment là pour nous démontrer avec quelle ampleur les buts de ces journées pourraient être atteints. Inutile donc de me pencher longuement ici dans une démonstration ennuyeuse pour vous étaler ces forces.

2- Les deux dernières raisons sont presque personnelles. A la suite des longues et sérieuses observations, ma situation de handicap face à mon silence donnait l’impression d’être suffisant, orgueilleux et méprisant. Je dis bien « donnait l’impression » parce que bien que communiquant sur toutes les conditions de vie de mes paires, je risquais de me voir attribuer ces qualificatifs qui collent bien à la peau de plusieurs de mes autres paires. Les personnes handicapées indigentes vivent des situations de répugnance et de stigmatisation donc font preuve leurs paires qui vivent dans l’opulence. Beaucoup d’entre vous auraient attendu que je m’en prenne aux autres, c’est-à-dire aux personnes valides qui se trouvent dans les positions de pouvoir et qui sont coupables, de près ou de loin, de cette souffrance atroces dont nous sommes victimes. Que non. Ce discours est déjà vieux comme le monde et il serait injuste de ma part de rester silencieux sur ce que j’appelle la complicité tacite de la souffrance. Il ne faut surtout pas croire que mes propos sont vexatoires pour la simple raison que je m’insurge contre des personnes en situation de handicap qui s’enorgueillissent avoir réussi dans la vie à travers leur parcours professionnel. Ils se prennent pour des donneurs de leçons, pour des exemples de probité et de réussite sociale. Il y a en eux une certaine condescendance et maladresse dans cette façon de voir le monde. Ce genre de comportement fausse carrément la problématique du handicap au point de penser que si quelqu’un est handicapé et ne réussi pas socialement et professionnellement c’est parce qu’il est paresseux. Depuis que je milite dans les associations de défense des droits des personnes handicapées, je n’ai jamais, je dis bien jamais vue une solidarité de la part de ces compatriotes. Ils sont postés sur leur piédestal et se refusent de se mobiliser spontanément pour cette cause noble des droits humaines que nous réclamons tous. Non. Pour eux, il ne faut surtout pas se mêler des affaires qui ne leur regardent pas. Ils ont déjà eu leur pain quotidien. A présent, ils doivent simplement mener leur vie douillette au grand soin de leur privilège. Ce qui est choquant, ce n’est pas le choix qu’ils ont fait de se mettre à l’abri des regards, mais c’est le fait pour ces derniers de se prévaloir des droits d’opinion au nom de leurs paires en leur affublant de tous les noms d’oiseaux. Ils se plaignent d’être victimes de harcèlement pour la mendicité, en se vantant sur tous les toits de leur largesse au point de susciter de la pitié et de la compassion, non pas pour les indigents, mais pour eux. Les pauvres ! Ce sont eux qu’on ne voit jamais dans les manifestations de revendications, ce sont eux qu’on ne voit jamais pendant les journées internationales des personnes handicapées, ce sont eux qui ne disent jamais rien contre la souffrance et la négligence des gouvernants sur le sort des autres personnes handicapées. Mais, ils sont prêts à se bomber le torse pour dire comment ceux qui se battent dans les couloirs des décideurs pour faire respecter la loi sont des mendiants. Vous avez compris donc à présent le sens de mon revirement ? Ce n’est donc pas sorcier.

3- La dernière raison de mon engagement pour une offensive communicationnelle conséquente, c’est de dire ma reconnaissance à tous ceux qui ont été, de près ou de loin, d’un grand apport de soutien à cette couche sociale, ô combien sensible. Je ne saurais être exhaustif ici pour des raisons évidentes de trou de mémoire dont je serais probablement pris de tort. Depuis bientôt dis ans, le GicHandyc, l’une des associations auxquelles j’appartiens et partage les convictions de lutte pour la dignité humaine, se bat pour l’égalité des droits dans l’éducation, la formation et l’insertion professionnelle des personnes handicapées au Cameroun. Nous avons mené un rude combat pour que la loi portant protection et promotion des personnes handicapées soit votée par l’assemblée nationale et promulguée par le président de la république dans une loi N° 2010/002 du 13 avril 2010. Nous avons été confronté aux difficultés liées aux objectifs que je vous ai cité plus haut pour la seule et simple raison que cette loi manque cruellement de ce que les politiques et le droit appellent le « décret d’application ». Depuis 2010 donc, nous nous battons sans ce décret et beaucoup parmi vous ont vite compris qu’il ne fallait pas attendre. Vous avez, de par vos positions sociales et professionnelles, permis que les jeunes handicapés sans moyen financier aillent à l’école comme leurs compatriotes. Vous, amis, frères, sœurs, parents, éducateurs, quelques fonctionnaires isolés des services sociaux camerounais, hommes et femmes de cœur, avez mis les mains dans la patte pour que cela soit possible jusqu’ici. Comment ne pas avoir une pensée pour l’Union Européenne qui, pour cette année scolaire (2015-2016) nous a permis, grâce à tout un arsenal financier qu’elle nous a confié pour mener à bien cette lourde et difficile mission qui est la nôtre.

Nous avons eux, de la part de Mme Diane Collignon, à travers son association de droit français Nous Sommes Là, une collaboration franche qui a permis de booster financièrement le petit commerce d’une douzaine de personnes handicapées désireuses de se prendre elles-mêmes en charge. Tant bien que mal, l’opération a réussi et un projet de cybercafé essentiellement réservé à l’apprentissage et à l’initiation aux outils informatique des personnes handicapées, a vu le jour à Bépanda. Quelle belle expérience !

Pour terminer avec ce tableau descriptif réservé à la journée internationale des personnes handicapée dont le thème de cette année est « Les sujets d’inclusion : accès et autonomisation des personnes handicapées », j’aimerai apporter ce témoignage de solidarité qui se manifestent autour de moi au fil des jours et au fil des ans. Malgré la stigmatisation vécue sporadiquement et parfois ouvertement, je suis comblé par cette sympathie des frères et des sœurs, des amis et des inconnus, mais surtout des collègues mondoblogueurs (plate-forme qui héberge le blog de votre serviteur que je suis) et des formateurs (Ziad, Simon, Manon et Mélissa) pour qui je voue beaucoup de reconnaissance et qui n’ont ménager aucun effort pour que je sois au petit soin pendant ma formation qui, malheureusement, m’éloignera, pour une première fois, de mes paires handicapés pour célébrer cette journée internationale ce 3 décembre 2015. J’avoue que j’avais des appréhensions au départ, croyant que je devais tout faire seul. Logé à la bonne enseigne, être servi le premier pendant le déjeuner et le dîner et avoir le privilège des gros morceaux de viande, de poulet et de poisson, avoir une place de choix dans la voiture et dans la salle de formation, porter mon sac comme celui d’un gamin par ses parents, etc. me laisse croire que l’espoir est permis. Et je n’oublie pas cette bière précieuse « La Gazelle » que je déguste tous les jours. Merci à la ravissante Djifa qui m’a promis le dibiterie en ce jour spécial. Merci à Ecclésiaste qui ne cesse de jouer au paparazzi tous les jours. Merci à mon bras droit, le porteur de sac de Douala jusqu’à destination. Vous voulez savoir son nom pourquoi ? Il se reconnaîtra. Et enfin, le meilleur pour la fin, mon compagnon de toujours, mon « binôme » inconditionnel Moussa.

Bof, l’objectif reste sur le viseur : les personnes handicapées au Cameroun demandent et exigent au président de la république la signature du décret d’application de la loi portant

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Auteur·e

tkcyves

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