Crédit:

Immigration : la voix du cœur ou celle de la raison ?

2014USDVVisaLotteryRegistrationIsOut

Malgré tout ce qu’on peut dire des méfaits de l’immigration : racisme, chômage, sans papier… partir pour l’Occident représente encore pour ces jeunes Africains un espoir, un gage de succès personnel et professionnel. Il ne se passe donc plus une minute sans que des amis, frères, cousins et collègues n’en parlent et n’en rêvent avec passion et émotion.

Fin novembre, Albert venait à peine de demander la main de Nicole quand sa fiancée lui annonça qu’elle venait d’avoir  la« green card » encore appelée DV-LOTTERY. Cette nouvelle a suffi pour mettre les membres de la famille de Nicole en émoi. Chacun voyant déjà le privilège d’avoir une personne proche vivre en Occident. Paradoxalement, cette nouvelle ne semblait pas réjouir Albert. Albert, cadre supérieur dans une banque avait un salaire lui permettant de fonder une grande famille. Ce projet qui lui tenait à cœur venait donc d’être brisé par sa fiancée qui tenait à devenir américaine, son rêve depuis trois ans qu’elle jouait à cette loterie. Conséquence : une dispute entre les deux familles

La question d’immigration est véritablement un serpent de mer ici au Cameroun. Entrer dans le ventre de l’oiseau volant est devenu une obsession chez les jeunes. Leur rêve : aller chez le Blanc et tenter sa chance. Je ferais une digression ici en rappelant, à ceux qui l’aurait déjà oublié ou qui ne le savent pas, que l’Occident aujourd’hui, c’est comme les grandes capitales africaines d’autrefois, vers les années 1960. Je me rappelle de la célèbre chanson d’André Marie Tala intitulée « Je vais à Yaoundé ». A cette époque, je veux dire à l’époque du lendemain des indépendances, les capitales africaines étaient des lieux de destination par excellence pour ces jeunes qui voulaient réussir. Plus de 90 % de la population étant rurale, les grandes villes, et les capitales bénéficiant des infrastructures, hôtels, hôpitaux de référence, universités et grandes écoles, lycées prestigieux, autoroutes, banques, aéroports, etc., étaient considérées comme des destinations privilégiées. D’ailleurs, la plupart de nos dirigeants qui ont vécu cette époque ont immigré vers les villes : c’est ce qu’on appelait « l’exode rural » qui n’est même plus d’actualité. Les campagnes se vidaient inexorablement et les villes devenaient désespéramment surchargées et encombrantes, d’où les bidonvilles. La mauvaise organisation et l’absence d’une politique urbaine présageaient le désordre que nous vivons aujourd’hui. Les autorités se plaignaient alors de cet exode massif qui avait pour risque l’abandon des plantations, seule source de richesse de la plupart de nos familles. L’immigration, aujourd’hui, s’inscrit dans la même problématique. Mais, à la seule différence près que même ceux qui ont un emploi, pour des raisons personnelles ou professionnelles sont tentés par l’aventure.

Ce conflit entre Albert et Nicole n’a pas fini de déchaîner des passions et des émotions à tel enseigne que le fiancé a avoué mettre un terme à la relation si celle-ci venait à partir. Pour la famille de Nicole nantie d’un BTS, il n’est pas question de renoncer à l’immigration, car c’est l’occasion ou jamais d’en profiter aussi comme les autres. « Profiter comme les autres », oui vous avez bien lu, profiter comme les autres : voilà où réside le drame des familles. Cette idée  de belle vie, du « m’as-tu vu ? » est bel et bien l’objet principal de ce projet d’immigration. A peine le voisin, l’ami, le cousin, ou la nièce ont immigré, ils ont changé la vie de leur famille : envoi d’argent par Western Union ou Monney Gramm, reconstruction de la maison familiale, etc. grâce à la position envieuse de ces immigrés. On veut être comme eux, comme les autres, avec cette illusion que cet autre ne soufrerait pas car il vit dans une société moderne où il y a plus d’opportunité pour les bosseurs et les battants. L’image que les autres présentent à leur environnement le plus proche, en famille, au quartier, etc. est celle de celui qui a réussi dans sa vie. Aller en Occident, c’est donc avoir réussi dans sa vie. Rien à voir avec ce qui se cache derrière cette réussite. La conscience collective est loin d’avoir l’impression que quitter d’une zone de pauvreté vers une zone riche ne garantirait pas une réussite. Il serait donc illogique de démontrer, par des calculs ou des équations simples, qu’il fait beau vivre ou encore qu’on peut réussir sa vie à Douala ou à Yaoundé qu’à Paris ou New-York où il y a des plus prestigieuses universités et écoles du monde, des hôpitaux de référence, des plus grands championnats de sports, bref, des infrastructures de rêve comme je venais de le dire pour ceux qui résidaient dans les campagnes et qui rêvaient voir la ville capitale. Il serait vain de convaincre un jeune qu’un pays de dictature est mieux qu’un pays de liberté et de démocratie. Les modèles de vie dans ces pays de démocratie font que ceux qui y vivent regardent de haut ceux qui vivent la dictature au quotidien. Seuls les personnes privilégiées ou celles bénéficiant d’un réseau social et des entre jeans bien solides réussissent à avoir une place au soleil. Ainsi, les valeurs des sociétés occidentales sont érigées en exemple. Immigrer aujourd’hui est devenu une fixation et une obsession chez les jeunes à tel point qu’ils sont prêts à tout abandonner, oui je dis bien, à tout abandonner pour aller jouer sur un terrain inconnu même en l’absence d’une famille d’accueil.

Cette illusion, est entretenue par les aînés, c’est le fait même des autorités. Les pays africains, au lendemain des indépendances, ont été pris en otage par des tyrans dont l’objectif et le programme politique n’avaient rien à voir avec un développement endogène. Leur seule ambition était la conservation du pouvoir à tous les prix. Pour preuve, aujourd’hui, les bourses pour des études dans les grandes universités occidentales n’existent plus que de nom, alors qu’elles, ces autorités des régimes de dictature en ont profité. Aujourd’hui, pour une moindre maladie comme la grippe ou le palu, nos gouvernants préfèrent, par leur position de pouvoir, s’octroyer des avantages des évacuations sanitaires vers ces hôpitaux de luxe sis en Occident. Idem pour leurs vacances princières : l’Occident est devenu la destination privilégiée de ces tyrans. Comment, avec ce genre de comportement, comment ne pas entretenir l’illusion sur le bien-fondé de l’immigration ? Ces mêmes dirigeants qui tiennent un discours sur le patriotisme que les jeunes auraient tendance à perdre sont-ils mieux placés pour être des exemples lorsqu’ils envoient leurs propres progénitures dans les plus prestigieuses écoles en France, en Angleterre ou aux États-Unis ?

Évidemment, il serait difficile de convaincre Nicole sur la nécessité de rester au pays parce que son fiancé a une position sociale enviable d’autant plus que cette position ne saurait être une assurance suffisante dans un pays où par un coup de tête, vous vous retrouvez dans la rue. Pardon, ne me parler par surtout des syndicats des travailleurs, ni de l’inspection du travail, ni même de notre justice où la corruption a son siège social. La pérennité de l’emploi est devenue incertaine. Dans un pays où 80% des sous-emplois règnent en maître, comment ne pas avoir la peur au ventre en tentant de ne pas suivre la voix de la raison : immigrer ? La raison c’est que dans une société moderne, la femme est appelée à s’assumer. L’industrialisation et le capitalisme ont fait de la femme un être à part entière. C’est même là l’objectif du combat du féminisme. Il n’est donc plus question qu’elle compte sur les ressources ou le salaire de son époux pour exister. La participation et la contribution de la femme dans le ménage sont devenues une exigence voire une priorité et une nécessité à cette ère contemporaine. La place de la femme n’est donc plus au foyer comme jadis. Elle doit se battre, autant que son époux, pour la réussite du ménage. L’indépendance de la femme, pour celles qui en sont conscientes, est une exigence dans une société moderne. C’est ce que Nicole a compris en décidant d’immigrer coûte que vaille. Albert, loin d’être contre l’indépendance de sa fiancée, a plutôt un problème : la peur de la perdre, et pour toujours. Oui, il l’aimait tellement qu’il avait peur de la perdre pour toujours. Il est avéré que la plupart des africains qui immigrent, ne respectent pas leur promesse de départ qu’ils ont tenu à leur partenaire amoureux. Comme pour dire : loin des yeux, loin du cœur. La voix du cœur serait de suivre son amoureux avec le risque que cela pourrait entraîner. Le moindre échec ou même la moindre dispute de la vie du couple, va faire remonter à la surface ce regret de n’avoir pas suivi la voix de la raison. Les femmes sont comme ça, malheureusement. Sa volupté ne la quittera jamais pour démontrer à qui veut l’entendre qu’elle a tout sacrifié, qu’elle a abandonné ses rêves par amour et pour le plaisir de son homme, et que pour ça seulement, celui-ci lui doit du respect. Ça deviendra une rengaine et un leitmotiv de chaque instant au moindre pépin. Pour aller plus loin, même si Albert lui offrirait une situation d’autonomie grâce à son salaire, cette rengaine sera toujours brandie comme une épée de Damoclès. Albert y a-t-il pensé ? Je ne le crois pas. Parce que pour ceux qui connaissent la femme, la première réaction lorsqu’elle vient vous dire « Chéri j’ai gagné la green card », serait de lui répondre : « pardon ma chérie, pars-toi oh ! Je suis encore très jeune pour mourir d’un AVC ».

Tchakounté Kémayou

Partagez

Auteur·e

tkcyves

Commentaires

KUPOU Yves Olivier (TAA N'KUI)
Répondre

Merci TABA NKUI,
j'ai préféré Taba N'kui parce que c'est BANTOU et c'est noble;
Il y'a quelques années j'ai dit niet à l'immigration jusqu'à ce que je sois victime de cette précarité subjective de l'emploi et des difficultés d'en trouver un autre sous prétexte que je n'ai pas le bon réseau. Et ma longue expérience professionnelle associée à mes compétences avérées alors??.Voila pourquoi finalement je me suis dit qu'ailleurs je pouvais être apprécié et payé à ma juste valeur.
je suis OK avec ton billet et j'ai beaucoup apprécié ta conclusion faite sur un brin d'humour.