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État de droit ou droit d’État dans un contexte de guerre

Le_Debat061213300Les concepts de démocratie, droits de l’homme, État de droit et droit d’État meublent les débats au Cameroun depuis que l’armée fait face à la nébuleuse Boko Haram. Jusque-là, le pays n’avais jamais connu une situation de sécurité bien plus complexe que d’autres États avaient vécues et qui d’ailleurs continuent de les vivre.

Loin de moi l’intention de donner une définition tranchée de ces concepts aussi profonds que complexes, il faut dire ici qu’ils sont, de par leur fondement, moins critiquables. Pour dire simple, tout le monde, sans exception, s’accorde sur le fait que la démocratie et ses frères jumeaux, c’est-à-dire la liberté, les droits de l’homme, l’État de droit, la bonne gouvernance, etc., constituent des éléments d’appréciation de la bonne marche d’un État. Ce principe sous-entend que l’État est le garant de la liberté et de la démocratie dans un pays. Autrement dit, la raison d’être d’un État c’est le respect de ce principe.

Il se passe que depuis le 11 septembre 2001 et les attentats du World Trade Center aux USA, pour des raisons plus ou moins convaincantes ou convenues, la raison d’État prime de plus en plus sur l’État de droit qui est par définition le fait de reconnaitre à tous ses citoyens le droit de jouir de ses droits fondamentaux. Par définition, il serait donc imprudent de restreindre les droits d’un citoyen sous aucun prétexte. Sinon, l’État cessera d’exister. C’est ainsi dans tous les pays prétendument ou reconnus comme ceux qui ont une culture de la pratique des libertés et de démocratie plus poussées. Citons les États-Unis, puisque c’est lui qui sera interpellés dans mon argumentaire.

Depuis donc ces attentats de 2001,

les États, soucieux de la sécurité de leurs concitoyens, encadrent de plus en plus (et de manière souvent conservatrice ou restrictive) des libertés fondamentales du citoyen au nom justement de la sécurité intérieure et de la défense de leurs intérêts stratégiques. Au point parfois d’alarmer les organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme. Les citoyens eux-mêmes sont partagés entre la nécessité de continuer à jouir de leurs droits et libertés fondamentales et les « sacrifices » de libertés qu’ils doivent consentir ou accepter pour continuer à vivre en toute sécurité

Voilà donc fondamentalement où se situe le débat au Cameroun à l’heure actuelle : un État doit-il toujours se soumettre aux droits de l’homme ?

Sans risque de me tromper, ce débat sur la liberté des citoyens et la sécurité de l’État est bien central dans les centres de recherche en sciences politique, en socio-politologie. Elle est même fondamentale. Les pays à forte tradition démocratique sont visés, notamment : USA, UK, France, etc. Aux USA par exemple, le débat sur Guantanamo est et reste toujours d’actualité. Mais, toujours est-il que les services secrets des USA, comme tous les autres, pratiquent et appliquent les lois d’exception. Pour preuve, la tête d’Oussama Ben Laden qui était considéré comme un homme dangereux pour l’État Américain, a été mise à prix par les Américains eux-mêmes. dans les autres territoires pour ne pas avoir affaire aux juges américains.

Au Cameroun, l’affaire sur la disparition du capitaine Gerrandi Mbara, publiée par Jeune Afrique, qui avait fait les choux gras de la presse, loin d’être close, obéit dans la même logique. Mais, à la différence de Ben Laden, Guérandi Mbara, selon le journal panafricain, a été assassiné sur le territoire camerounais. Nous assistons, depuis mai 2014, date à laquelle Paul Biya, l’homme « qui peut », déclara la guerre à Boko Haram, aux pratiques d’exception de la part de la police et de l’armée. D’aucun aurait même pensé que cette nouveau contexte que nous vivons au Cameroun donnent vraisemblablement du fil à retordre aux forces de l’ordre visiblement dépassées par des débordements. Il ne reste qu’à se poser la question sur la priorité de l’État Camerounais en temps de crise. Quelles libertés doit-on restreindre dans un État de tyrannie en temps de guerre ? Dans un pays où la tradition démocratique connait plus ou moins un grand succès, cette problématique sur la liberté des peuples en temps de crise (ou de guerre) est déjà longtemps en débat ; Qu’en est-il des pays africains réputés pour ses régimes de dictature, de tyrannie ou de totalitarisme où les peuples ne jouissent pas toujours de tous les bienfaits d’une société de droit ?

Cette question est d’une importance capitale aussi bien dans les pays de vielles traditions démocratique que dans les pays à démocratie balbutiante. Pour montrer un peu la difficulté à bien saisir l’importance de cette problématique, prenons l’exemple de l’exercice des pratique non conventionnelles : 1-Peut-on faire usage des méthodes non conventionnelles dans le but de traquer les hors la loi ? Même dans les pays de démocratie comme les USA, cette problématique est encore d’actualité. Cette semaine, un an après la mort de M. Brown à Fergusson, se pose encore et toujours le problème de la proportionnalité des mesures de défense en cas d’attaque : la police doit-elle réagir en dégainant sur une personne qui veut faire usage de son arme ? Selon la loi américaine, la réponse est sans appel : Oui. Mais Brown avait-il commis un acte de désinvolture au point d’obliger un policier à dégainer ? Tout le monde ne semble pas être d’accord sur les faits. Par contre, les auteurs des actes de terrorisme qui met en danger l’État américain sont recherchés par le service secret et sont gardés dans des prisons à Guantanamo, en Pologne, en Espagne, etc. Question : Pourquoi les services secrets américain choisissent-ils de « torturer » les hors la loi hors du territoire américain ? Réponse : Parce qu’en tant qu’État de droit, les hors la loi, terroristes qu’ils soient, on aussi le droit d’avoir une justice équitable. Raison pour laquelle, pour éviter la colère des juges, les services secrets font donc les prisons non conventionnelles hors du territoire américain. Si le pacte international sur les droits civils et politiques n’exclut pas la possibilité de mettre une parenthèse sur certains droits dans des situations d’extrême urgence et en définit les conditions pour cela, pourquoi l’État américain se fait-il donc le devoir de créer des prisons hors de son territoire ?

En quoi est-ce qu’une situation exceptionnelle de restriction des droits et libertés individuelles est perçue comme une violation de l’État de droit dans un contexte de tyrannie ? Ici, lorsque des lois d’exception sont appliquées dans les pays à faible tradition démocratique, la question est vue autrement. Si en tyrannie l’État de droit n’existe pas en temps d’accalmie, en quoi le violerait-on en temps de crise ou de guerre ? Évidemment, les lois d’exception votées par l’Assemblée Nationale camerounaise en décembre 2014 avaient été considérées par l’opinion comme une violation des libertés fondamentales. Peut-on violer une liberté qui n’existe pas ? Ou de quelle liberté parle-t-on ? Dans les régimes et les systèmes de tyrannie, les lois d’exception, comme il en existe partout, ne sont pas perçues comme des mesures que l’État prend pour la protection de sa population. Prises sous le sceau de la lutte contre le terrorisme, elles sont toujours considérées, par l’opinion, comme des mesures supplémentaires pour traquer les ennemis.

Le respect des libertés, de la démocratie, des Conventions et des Traités internationaux que les États ratifient et qui font office de lois nationales devraient être d’abord notre préoccupation. Et il appartiendra au peuple de faire des concessions sur la restriction de ses libertés fondamentales.

Tchakounté Kemayou

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