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Du virtuel au réel, à la découverte d’un village peu ordinaire : Batchingou (2)

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Au sommet du Mont Bachingou de plus de 2200m

La suite de la rencontre de « Batchingou 2014 » initiée par l’association « Le Ndé en Force ADI » est axée principalement sur deux points forts : l’ascension du mont Batchingou et la visite de la chute de Batchingou située à quelques 30 Km du palais. Après un petit déjeuner vite servi, la délégation s’apprête pour la suite du programme :

1. Échauffourée pour le choix du premier site à visiter : Montagne ou chute ?

Le programme de la journée doit commencer par l’ascension du mont Batchingou d’une hauteur de plus de 2000 mètres. C’est l’un des monts les plus importants du Cameroun. La chaleur ardente de la journée et le petit déjeuner devenu subitement lourd à digérer entraînent une rude discussion sur l’opportunité de cette ascension. Gaël qui semblait être le patron du programme convainc tout le monde à choisir d’abords la visite de la chute de Batchingou située à quelques 30 km du palais.

2. Départ pour la chute d’eau de Batchingou

La rue qui mène vers la chute de Batchingou n’est pas aussi dégradée qu’on aurait cru. Une route en terre battue qui a cette particularité de son étroitesse. Ce qui me fait dire à l’instant ce qui arriverait si deux véhicules venaient à se croiser sur le passage. Place à l’observation de la verdure, du paysage, des enfants placés au long de la route et qui n’hésitaient pas à nous balancer la main droite en signe de bienvenu. C’est ici que l’impression de l’abandon du village par les filles et les fils du terroir prend son importance. Des cases presqu’abandonnées. Ce sont des herbes envahissantes qui le traduisent. Mais, où sont partis les enfants du village ? Les Bamilékés qui sont considérés comme un peuple dynamique de par sa puissance financière et économique n’a pas beaucoup investis ici. Quelle est la raison de cet abandon du village par ses enfants ? Certaines langues parlent de la réputation de la population de Batchingou dans la sorcellerie. L’exode des jeunes vers d’autres villes comme Douala et Yaoundé est massif. A quelques 20 km de chemin parcouru, des obsèques se déroulent dans une concession. Tout est calme. Quelques badauds et gamins continuent de sauter de joie en voyant le car qui s’avance tout lentement. Le temps passe, au bout du chemin, à un virage tortueux et débouchant sur un ravin, l’un s’exclame : « Nous sommes arrivés ! ». « Non, continuez encore, chauffeur », rétorque un autre qui semble connaitre le lieu. Le chemin devient de plus en plus ennuyeux. 10 Km après, le car s’immobilise.

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Radio communautaire Medumba’a

3. Les retardatairess’agitent : Maïmouna et les autres

Vite. Chacun descend du car pour découvrir cette fameuse chute tant vantée par Franck, notre communicateur-maison. Malheureusement, je reste scotché sur place. La chute n’est pas adaptée pour des touristes inaptes. Bigre ! Pince dans le cœur, je deviens, avec le chauffeur, vigile de veille de circonstance. Une vingtaine de minute après, Maïmouna débarque à bord d’une moto-taxi qu’elle a payé à prix fort. Stupéfait, je suis impatient de savoir ce qui se passe. « C’est Eric ». Punaise ! « C’est Eric la cause de tous mes problèmes ». Yeuh ! Qu’a-t-il fait, ce jeune homme ? Après qu’elle ait raconté son histoire, je me suis souvenu qu’elle s’était absentée pour aller voir son médecin traitant à Bangangté et elle devait nous rejoindre immédiatement avant le départ pour le Palais. Consigne avait donc été donné à Eric de veiller au grain pour que le car ne part pas sans elle. Ouf ! L’homme est mauvais. Il n’a rien foutu. Maudit garçon.  La belle Maïmouna a fait confiance à ce félin. Elle a pleuré à chaudes larmes pour avoir raté les moments forts en refusant d’aller rejoindre le groupe qui se trouvait non loin de là. Elle voulait tout vivre en direct, il faut la comprendre. Pour la consoler, tout le monde s’y est mi sauf le merdique Olivier, toujours à contre-courant. Oh, la Pauvre !

Viennent ensuite Olive, Armand, Arnaud, Pat, Hervé et autres qui s’étaient absentés pour des obsèques à Bamena de la maman de Nathalie qui venait de décéder. Ils sont donc venus en cascade pour se rattraper dans le programme. Heureusement, tout le monde était encore à la chute. Ils les rejoignent au moment de la bénédiction par l’eau sacrée.

4. Les bénédictions de l’eau des chutes

Le guide qui faisait office de professeur d’histoire et de géographie pour la circonstance, nous a abreuvés de belles épopées et des leçons de vie liée à cette chute historique. Attentionnés à souhait, tout le monde ne s’est pas fait prier pour recevoir les bénédictions de l’eau en suivant les recommandations du vieil homme : cette eau est sacrée et apporte beaucoup de satisfaction à ceux qui recherchent le bonheur dans la vie ; il suffit de prendre une, deux, trois gorgées en exprimant ses vœux à la suite de chacune d’elle ; de se rincer le visage à la fin du dernier vœux et en remerciant les ancêtres de l’eau de les avoir accepté, de les recevoir et d’y prêter une oreilles attentive. C’est un rituel que doit faire tous ceux qui viennent à la chute. Le vieil homme, selon ses dires, ne vit que de ces enseignements. Une fois arrivés dans le car pour le retour, une idée nous vient à la tête et une collecte est improvisée. Chacun a donné ce qui pouvait et la satisfaction était au comble. Moi et Maïmouna qui n’étions pas à la chute, avions eu droit, heureusement, au rituel grâce à Olive qui était revenue avec une bouteille d’eau. Je fis le rituel pendant que le car s’empressait à reprendre la route pour le palais.

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Le stand Cube Jumbo en ébullition

5. Deux arrêts non moins importants chez Maéva et au village du festival Nga’chou

Le chemin retour qui nous mène au palais est plus animé que celui du départ. Les commentaires sur l’histoire du village, les épopées des anciens racontées par le vieux guide de la chute de Batchingou ravivent les discussions sur la triste renommée du village. Son abandon par ses filles et fils laissent tout le monde dépité. Car, ça donne l’impression que c’est un nouveau village. Tout est vide, sauf de rares constructions très modestes et mal entretenues.

En chemin, Maéva ne se fait pas prier pour avouer qu’elle est originaire de Batchingou. Pour marquer son passage au village, elle nous propose un arrêt prêt de la tombe de son papa inhumé devant la case familiale située tout près de la route. Ouf ! Voilà enfin une fille originaire qui se dévoile et ne souhaite nullement traverser la case familiale sans dire bonjour à son défunt père. Par respect pour l’âme de papa, Maéva a refusé de jouer au faux-fuyant. Convaincu que certains encore d’entre nous, originaires de Batchingou ne voulaient pas se dévoiler, personne n’a pris la responsabilité de dénoncer l’autre. Batchingou fait naître chez les jeunes une amertume difficilement explicable. Cette mauvaise perception m’a rappelé ce refus de mon père de prendre possession du terrain que lui avait légué par un oncle paternel à Batchingou pour aller s’installer à Bazou, chez sa mère. Cette amertume ne date donc pas d’aujourd’hui. Les Bamilékés de Batchingou ont toujours « renié » (le mot est peut-être fort) leur village.

Le deuxième arrêt se fait au village du festival Nga’chou. Festival qui se déroule tous les quatre ans et qui est le symbole du pouvoir de la parole. « Au commence était la parole », disent les anciens qui ont voulu symbolisé cette maxime par Nga’chou qui signifie littéralement « Ouvrir la bouche » comme pour dire qu’ilest impossible de parler sans ouvrir la bouche, ou encore qu’on ne parle pas sans ouvrir la bouche. Un tour au village de ce festival a redonné un tonus à l’ambiance terne ressentie à notre arrivée sur les lieux qui avait été investi par des entreprises du pays pour la promotion de leurs produits : Les Brasseries du Cameroun, le cube Jumbo, Orange Cameroun, quelques artisans et restaurateurs. Un tour au stand Jumbo Cube fait vibrer le podium situé à l’entrée du site. Les sonorités locales distillées par un podium bien équipé ne laissent personne indifférents et tout le moment se lance sur la piste comme pour marquer son empreinte à son passage à travers des prises de vue en photos de souvenir. Téléphones, tablettes et Smartphones aidant, chacun y va de son goût.

Un tour au stand du soya bien pimenté et situé à un jet de pierre de là

Malgré la fatigue, beaucoup trouvent encore que l’ascension du mont Batchingou ne doit pas être abandonnée. A l’aide de deux jeunes guides et munis d’un piquet et d’une bouteille d’eau minérale, les volontaires se mettent en branle en direction du pied de la montagne. Une belle virée malgré le parcours à mi-chemin pour les plus braves. A cette allure, c’est un exploit compte tenu de la haute température qui oscillait entre 30 et 34 degré à l’ombre. Très peu réussissent à franchir le mi-chemin. C’est pour cette raison qu’il est toujours conseillé de le faire à la première heure de la matinée. Pour les téméraires, une séance de photos et vidéos comme souvenir se font à tour de rôle. Et la descente s’est faite aussi aisément sans heurt. Ça a donc été un pari réussi pour les organisateurs. La suite du programme a lieu à 18h et chacun devrait rejoindre son hôtel pour s’échanger.

Je ne saurai terminer ce deuxième billet de « retour aux sources » à Batchingou sans relever cette histoire macabre qui a meublé notre séjour dans ce village. Le Mont Batchingou est et a toujours été un objet de discorde entre deux villages voisins : Batchingou dans le département du Ndé et Batcha dans le département du Haut-Nkam. Les deux peuples se disputent la propriété de la montagne qui constitue une frontière naturelle entre les deux villages. Chaque année, une ascension de ce mont a lieu et les deux peuples n’ont jamais manqué l’occasion de s’affronter. Un artiste, Jean Batcha, a été tué par balles lors d’une rixe.

C’est le lieu ici de le dire avec toute la fermeté possible : la plupart des conflits qui ont eu lieu à l’ouest sont des constructions du politique pour diviser le peuple Bamiléké qui, selon une certaine conscience collective, est un peuple dont son unité, grâce à son dynamisme supposée, fait craindre le pouvoir de Yaoundé. Pour quelle raison ? Cette question reste une énigme. Sinon comment comprendre que deux peuples frères séparés par une frontière administrative ne puissent pas s’entendre sur la paternité d’une montagne depuis des décennies ?

Tchakounte Kemayou 

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Auteur·e

tkcyves

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