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Difficile marche vers l’alternance politique : l’âge finira-t-il par dicter sa loi à Biya (2)

Depuis  que le multipartisme est de retour au Cameroun, c’est-à-dire depuis 1990, les débats politiques sur la consolidation de la liberté et la démocratie font l’objet des jougs interminables. Les périodes électorales sont alors des occasions idoines de mettre sur la place publique des griefs portés contre les institutions qui foulent aux pieds l’assainissement du processus électoral. Ainsi, l’élection pour la désignation d’un président de la République issu du consensus collectif a toujours été décriée à cause des irrégularités permanentes. Du coup, après 25 ans de luttes acharnées, l’opposition en est encore à dénicher l’oiseau rare capable de mobiliser la masse critique de l’électorat susceptible de renverser la tendance. Nous poursuivons ici notre interrogation entamée deux semaines avant sur les raisons de cette démission de l’engagement politique du peuple camerounais.

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Les mois de mars, d’avril et de mai représentent, pour la plupart des partis politiques, une période commémorative d’anniversaire de leur création. Ces périodes rappellent, à la mémoire collective, des souvenirs plus ou moins violents symbolisés par des acquis de luttes pour l’avènement d’une démocratie. Il s’agit notamment des partis les plus populaires, ou du moins, de ceux qui ont eu pignon sur rue dès l’ouverture ou la réouverture démocratique des années 1990. Cette période représente l’époque charnière de lutte pour le retour du multipartisme sur fond de crise sociale. Il s’agit tour à tour du parti au pouvoir, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) anciennement dénommé UNC créé par feu président Amadou Ahidjo, du Social Democratic Front (SDF), de l’Union Démocratique du Cameroun (UDC), pour ne citer que ces trois-là. Il faut préciser ici qu’au Cameroun grouillent un peu plus de 300 partis politiques tout aussi importants, représentatifs et populaires les uns que les autres.

Précipitation doublée d’un tantinet d’illusionnisme 

Contrairement à ce qu’on aurait dû penser, ni la multitude, ni la popularité de ces partis politiques n’ont eu un effet remarquable sur l’évolution de l’engagement de la population dans le processus démocratique. Cette démographie exponentielle des partis politiques en peu de temps avait, en son temps, été perçue comme une volonté du peuple à prendre en main son destin par un engagement tout aussi pacifique que vindicatif. Contre toute attente, l’observation sur l’évolution de ces partis, notamment les partis de l’opposition, montre que l’adhésion populaire est et reste encore loin du compte. Pourquoi cet engouement populaire tant remarqué pendant les années 1990 à 1996 s’est-il estompé subitement au point de laisser penser, avec raison, que la population a déserté le champ politique ?

Beaucoup d’observateurs et analystes se sont penchés sur cette problématique pour essayer de donner une réponse définitive à ce qu’il est convenu d’appeler l’apathie du peuple camerounais. Le bain de foule engrangé par le leader du SDF pendant les années de braise ne reste qu’un lointain souvenir. Il est si lointain qu’au fur et à mesure que le temps passe, la nostalgie s’installe chez ceux qui ont été, plus ou moins, participé à ces soulèvements populaires soit en tant qu’acteur, soit en tant que simple témoin, des scènes de révoltes teintées de violences parfois démesurées.

Une jeunesse démissionnaire…  

Il est donc certain que tous ceux-là étaient, à cette période charnière de la crise, des jeunes. C’étaient des élèves, des étudiants et des chômeurs, âgés de moins de 30 ans. Aujourd’hui, la majorité, sinon tous, ont atteint la quarantaine; pour ne pas dire qu’ils sont proches de la cinquantaine au minimum. Dès lors, envisager un engagement politique dans la même lancée et avec les mêmes acteurs et témoins serait absurde aujourd’hui. Cette génération très politiquement dynamique se faisait d’ailleurs appeler « Le Parlement », du nom d’une fameuse association estudiantine des années 1992 qui a fait parler d’elle dans le campus de l’Université de Yaoundé situé à Ngoa-Ekelé. Aujourd’hui, les leaders, pour la plupart, font désormais partie de la diaspora pour avoir fui des persécutions orchestrées par les lobbies du régime. Il est convenu que ceux qui doivent prendre la relève aujourd’hui, âgés de moins de 30 ans, n’ont pas connu ces années fastes du déploiement de toute l’intelligentsia camerounais pour libérer le Cameroun du joug de la dictature régnante depuis 1956, date du départ définitif (?) de la colonisation française.

Cette répression qui visait des leaders estudiantins et certains partis politiques finira par convaincre beaucoup de Camerounais sur l’intention des gouvernants de museler les têtes pensantes et encore habitées par une conscience coloniale et une velléité du progrès. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que cette technique de musellement s’observe encore aujourd’hui, lorsqu’il devient presque impossible aux partis politiques de l’opposition de se déployer sur le terrain. Depuis janvier 2016, les voix dissonantes des « motions de soutien » au président Paul Biya, pour sa candidature à la présidence de la République, sont étouffées. Le principal motif reste, comme de coutume lorsque l’administration veut réprimer, la préservation de l’ordre public. Elle juge en effet cet ordre public susceptible d’être perturbé par l’opposition et estime qu’il regorge de vandales en son sein.

Pourquoi les jeunes, ceux qui ont pratiquement l’âge de ces partis politiques, qui n’ont connu qu’un seul président, qui n’ont connu que les mêmes candidats de ces partis politiques cités ci-dessus et qui en ont ras-le-bol, ne peuvent-ils pas s’engager contre l’imposture politique ? La génération de l’époque du « Parlement » n’a-t-elle pas assumé son rôle d’encadrement politique de ces cadets ? Ou alors sont-ils déçus par cette classe politique truffée du fameux « apprentis sorciers » selon les termes de Paul Biya lui-même ? Sont-ils obnubilés par « Paris à tout prix » comme solution de consolation face à ce chômage tout aussi galopant que le non-respect de l’éthique publique ? Les cadets sociaux, tout comme leurs aînés, ont décidé de se mettre à l’écart. Ils se contentent d’observer, en se demandant comment faire.

Une opposition meurtrie par le camouflet électoral…

Une dégringolade des chiffres généralement observés aux présidentielles et législatives organisée depuis 1992 fait dégager une constance : la popularité de l’opposition camerounaise s’effrite vertigineusement. Elle est malade de ses dirigeants, malade de son image et malade de sa vision politique. Bref, elle est atteinte d’une maladie dont les symptômes sont la démission de la population, du peuple, des électeurs, des Camerounais des luttes politiques. Si certains observateurs pensent qu’aucune analyse électorale ne peut être crédible avec les résultats obtenus pour ces élections, la problématique sur la démobilisation de la population camerounaise ne fait l’ombre d’aucun doute. En d’autres termes, les leaders des partis de l’opposition se défendent des résultats médiocres qu’ils ont obtenus en relevant des irrégularités tant en aval qu’en amont du processus électoral. Il n’en demeure pas moins qu’ils restent boudés par le peuple. C’est la raison pour laquelle d’aucuns estiment même qu’une inscription massive dans la liste électorale afin de mobiliser une masse critique du nombre de personnes inscrites fera l’affaire de l’opposition. Avec un potentiel de presque 12 millions de Camerounais en âge de voter, le fichier électoral ne comptabilise que 5 millions de votants actuellement, malgré des campagnes de sensibilisation assidues. Il faut, par ailleurs, préciser que le nombre d’électeurs ayant participé aux votes n’excède pas 3 millions ! Cette situation expliquerait, en partie, les défaites répétitives de ces partis politiques qui, jusqu’ici, n’arrivent pas à retrouver ses marques.

Pourtant, plusieurs stratégies ont été, à maintes reprises, mises en place pour tenter de reconquérir les électeurs déçus et mal en point. Ces stratégies visaient principalement à trouver une issue pour affronter la machine RDPC qui ne cesse de monter en puissance et rafle la mise dans toutes les localités de la République. Le parti au pouvoir, avec l’aide de l’administration, se positionnait et continue de se positionner comme le parti le plus représentatif sur tout le territoire national. La loi, le code électoral et l’institution ELECAM sont considérés comme des outils favorables au parti au pouvoir, notamment par l’élection à un tour. Dès lors, l’opposition n’avait pas d’autres choix que de s’unir pour affronter le RDPC. Mathématiquement, en l’absence d’un second tour qui a pour rôle de tisser des alliances, un score enviable peut être possible avec un seul candidat en face du candidat Paul Biya. C’est ce qu’elle a fait en 1996 dans le cadre de l’élection présidentielle de 1997. Cette candidature unique a été un fiasco total alors qu’elle avait commencé à nourrir beaucoup d’espoir. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont et aujourd’hui, l’opposition en est encore à rechercher sa marque, son identité.

Ou un peuple aux aguets ?

Ce comportement un peu étrange de la population camerounaise a même fait dire à beaucoup d’observateurs qu’elle reste un peuple atypique et apathique. Face à la montée en puissance de la société civile au Burkina Faso, au Bénin, au Sénégal, etc. où l’alternance politique est désormais un fait, les analystes envisageaient même déjà miser sur un probable changement au Cameroun. À deux ans de la fin du mandat du président Paul Biya, tous les pronostics sont favorables pour sa candidature en octobre 2018. Les motions de soutien des militants de son parti depuis janvier 2016 évoquent leur souhait d’avoir une élection anticipée au plus tard en 2017. Et pour ce faire, il faut, nécessairement, convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée nationale au plus tard en juin 2016. Toutes les options sont permises et l’opposition sera encore, comme d’habitude, confrontée  à cette apathie.

Seulement, le contexte actuel est si différent des autres dans la mesure où la scène politique camerounaise est marquée, depuis le début de cette année 2016, par un climat d’incertitude sur une succession probable à la tête de l’État. Cette incertitude est fondée par l’âge avancé (83 ans) du président de la République Paul Biya qui est au pouvoir depuis 1982. Ce constat fait dire aux observateurs qu’à cet âge, le président Paul Biya est presque à la fin de son « règne ». Après avoir longuement combattu pour conserver le pouvoir avec succès devant une opposition en mal de repère, la nature aura forcément raison sur lui et dictera sa loi. Du coup, le climat politique devient délétère et le vide constitutionnel longtemps décrié par les opposants se fait sentir : l’absence de la cour constitutionnelle habileté à constater la vacance du président en cas d’empêchement, de démission ou de décès du président de la République est décriée. Même si la constitution prévoit un mécanisme de substitution avec la cour suprême en lieu et place de la cour constitutionnelle pas encore opérationnelle, d’aucuns pensent que ce vide pourrait entraîner un chaos juridique susceptible de déboucher sur une crise sociale irréversible. Sans oublier que le pays qui traverse des moments difficiles avec une guerre déclarée contre le groupe islamique Boko Haram qui a déjà fait des milliers de victimes, et une opération d’assainissement des mœurs publiques appelées « opération Epervier » qui s’apparente, pour l’opinion nationale, à un règlement de compte politique, ne tient qu’à un fil. L’opposition pourra-t-elle en profiter pour se faire une place au soleil ? De l’autre côté, le peuple bondira-t-il sur l’occasion pour faire ce que les opposants ont été incapables de faire depuis 1992 ? Même s’il est trop tôt pour le dire, il reste, du moins, des hypothèses non négligeables.

Tchakounte Kemayou  

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