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Crise énergétique au Cameroun : état des lieux

Depuis ce lundi 21 mars 2014, la ville de Yaoundé a encore fait parler d’elle. Dans les chaumières et aussi dans la plupart des réseaux sociaux et les médias de masse, la grève de la faim initiée par Delor Magellan Kamseu Kamgaing meuble les conversations. Après une semaine sainte mouvementée et qui a été marquée par la fameuse apparition de l’image de Jésus sur le mur d’un domicile, le président de la Ligue Camerounaise de Consommateurs (LCC) a décidé de faire parler de lui. Une probable (Future) augmentation du coût de l’électricité au Cameroun est à l’origine de la révolte de ce citoyen qui n’entend pas laisser l’entreprise AES SONEL se permettre une telle erreur qui pourrait compromettre la paix et la sécurité des consommateurs déjà fatigués de subir le poids du management opaque du secteur de production de l’énergie. Cette grève de la faim, malgré le bien-fondé de son objectif, suscite tout de même un remous au sein de l’opinion camerounaise qui est divisée sur le choix de la stratégie qu’a fait le citoyen Kamgaing de se révolter contre le système de gestion opaque de l’électricité. Avant d’aborder cette problématique que j’aborderais dans le prochain billet, un bilan rétrospectif sur l’état des lieux est nécessaire.

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Crédit photo: fr.africatime.com.
Les ingénieurs de AES SONEL à l’oeuvre

L’électricité au Cameroun, un bilan moins élogieux pour un fort potentiel hydraulique

Aux lendemains de la grande récession qui a secoué l’économie mondiale en 1995, la plupart des pays africains qui étaient touchés se voient imposer par les bailleurs de fonds multilatéraux une autre stratégie de management pour sauvegarder les intérêts capitalistes. C’est ainsi que les politiques de privatisation ont été menées de bout en bout par le Cameroun et la Société Nationale d’Electricité du Cameroun (SONEL), candidat à la privatisation, a été l’une des grandes entreprises visées par le gouvernement camerounais. Cette option était la solution miracle pour sauver l’entreprise de la mauvaise gestion due au manque de stratégies managériales pour arrimer l’entreprise aux nouvelles exigences des normes internationales exigées par la concurrence. C’est ainsi qu’un appel d’offre a été lancé le 30 novembre 2000 où il sera question de céder plus de 50% du capital à une structure privée. Après une étude des dossiers des six candidats à la reprise, seule AES corporation des Etats unis a rempli les exigences requises par la Commission technique de privatisation et de liquidation des entreprises publiques et parapubliques. Le 19 juillet 2001 a été alors la date historique de la privatisation de la SONEL qui a coûté 23 milliards de francs CFA et l’élu, AES SIROCCO LIMITED, contrôlera donc 56 % du capital de l’entreprise.

Dix (10) ans après cette privatisation, c’est-à-dire en 2011, dans une étude de commerce et marketing à l’Institut de Formation pour le Développement à Yaoundé, Jean- Louis NDZOUDOM dans sa thèse dresse un bilan sur l’état des lieux de la crise énergétique au Cameroun intitulée « EDC (Electricity Developpment Corporation) et la relance du pool énergétique camerounais : enjeux et perspectives ». Dans cette étude, la dure sentence est donnée pour lancer le débat : « Le Cameroun dispose aujourd’hui du troisième potentiel hydroélectrique d’Afrique. Cependant, la crise énergétique qu’il traverse s’explique moins par l’absence d’exploitation de ce potentiel que par la volonté de ses dirigeants ». Le ton est donc lancé et l’on assistera, plus que par le passé, à une déferlante critique de la gestion du reprenant AES SONEL venant de toute part et allant jusqu’à exiger le départ de AES SIROCCO LIMITED. La source de la crise énergétique venant principalement de la « volonté des dirigeants » il serait intéressante de donner ici quelques indices de compréhension sur les raisons de cette incompétence notoire. Dans une autre étude plus ancienne menée par la SONEL et Electricité de France de 1976 à 1983 et intitulée « Atlas du potentiel hydroélectrique du Cameroun », un inventaire général des ressources hydroélectrique du Cameroun nous montre que le Cameroun dispose de « 23 sites signalés dont les caractéristiques principales sont simplement consignés sur une fiche technique, de 30 sites signalés sur plans dont la fiche technique est accompagnée de documents topographiques et de 59 sites étudiés au niveau de l’esquisse d’aménagement, faisant chacune l’objet d’une note accompagnée de plans qui décrit les conditions naturelles du site et le schéma d’aménagement et donne une évaluation de ses caractéristiques énergétiques ainsi que de son coût de réalisation » (Jean- Louis NDZOUDOM).

Une excessive bureaucratisation et une médiocrité en termes de qualité de service   

« Au Cameroun, la principale source de production d’énergie électrique est la centrale hydroélectrique [qui occupe 76% du parc de production énergétique], parce que l’énergie produite est moins coûteuse, bien que la construction d’une centrale électrique soit onéreuse » (Jean- Louis NDZOUDOM). C’est le fait du fort potentiel naturel exploitable dont dispose le Cameroun en matière de ressources énergétique. Mais, des régimes pluviométriques, la variation des débits, la vétusté des installations existantes et des réseaux de transports rendent l’hydrologie capricieuse. Les contraintes liées à la conjoncture de 1986 et aux politiques économiques d’ajustement structurel font que la production de l’énergie soit tributaire d’une bonne santé financière compte tenu du fait que la construction des barrages est trop coûteuse.

La défunte SONEL, avec 100% des parts détenus entièrement par l’Etat du Cameroun, avait comme principale politique la satisfaction de l’intérêt général, donc le social. Par contre, il serait malhonnête de penser que cette SONEL-là ne faisait pas de bénéfices. Cette privatisation intervenue en 2001 est le fait même de la mauvaise gestion de cette plus-value. La privatisation avait alors deux objectifs : elle visait l’augmentation de l’accès à l’électricité en zone urbaine et rurale d’une part, et d’autre part, l’amélioration, en termes de qualité, de la fourniture de l’électricité. Trois ans après la privatisation (2004), le constat amer du bilan avait déjà été confirmé par un rapport de la Banque mondiale. Pour sauver le bateau en plein noyade, par anticipation (Dans la loi N°98/022 du 24/12/98 sur la réforme du secteur de l’énergie) une multitude de plans avait été mis en branle : la création de l’Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSEL), de l’Agence de l’Electrification Rurale (AER) et de la société Electricity Development Corporation (EDC) sans oublier le « plan de développement du secteur de l’électricité à l’horizon 2030 (PDSE 2030) » qui marque clairement la stratégie du Cameroun de sortie de cette crise. Du coup, plusieurs projets de développement du secteur d’électricité sortent des cerveaux : « Le projet d’aménagement hydroélectrique de Memve’ele, le projet d’aménagement hydroélectrique de Mekin sur le Dja, le programme thermique d’urgence, la réhabilitation du barrage réservoir de Lagdo, le projet d’interconnexion Tchad Cameroun et le programme d’électrification rural pour ne citer que ceux-ci. De tous ces projets, Seul Lom Pangar semble avancé avec la finalisation des études techniques et la mise en oeuvre du plan d’indemnisation et de réinstallation (PIR). Néanmoins, la question de son financement reste préoccupante » (Jean- Louis NDZOUDOM).

La demande en énergie électrique qui croit de 5 à 6% par an exige un investissement conséquent. Comme le prévoit le cahier de charge, AES SONEL doit mettre l’accent sur l’investissement pour justement augmenter l’accès à l’électricité. Toujours dans le contrat de concession entre AES-SONEL et le gouvernement camerounais, l’une des clauses sur lesquelles AES SONEL ne cesse de martyriser les consommateurs, stipule que ceux-ci vont subir trois augmentations du prix de l’électricité afin de permettre à l’entreprise de rentabiliser ces investissements. Le taux d’augmentation du coût de l’électricité a été de 5% entre 2001 et 2002, puis de 7,5% par an jusqu’à 2004, une autre augmentation est intervenue entre 2012 et 2013. Il est fort regrettable de penser que cette même société s’apprêterai à faire subir aux consommateurs une autre augmentation en 2014 alors que la qualité de fourniture de l’électricité par cette entreprise est contestable et ne respecte pas les normes internationalement connues et reconnues. Les consommateurs se plaignent chaque jour des coupures intempestives, des délestages et les sous/surtensions qui endommagent les appareils électriques. Mais, au siège social de AES SONEL, tout détracteur est pris au dépourvu des chiffres élogieux que l’entreprise brandit pour se satisfaire des résultats obtenus : « Plus de 630 milliards de F CFA (960 millions d’euros) investis en douze ans, essentiellement dans la construction de centrales thermiques. Plus de 400 000 nouveaux abonnés, soit un doublement du portefeuille existant lorsque l’américain AES Corporation avait repris 56 % de l’entreprise, en 2001. Et, surtout, une capacité de production dépassant l’objectif de 1 000 MW initialement fixé, pour atteindre aujourd’hui 1 238 MW grâce à la création de deux filiales : Dibamba Power Development Corporation, qui gère une centrale thermique en banlieue de Douala, et Kribi Power Development Corporation, chargée de la centrale à gaz de la cité balnéaire du sud du pays » (Jeune Afrique Economie). Si le bilan est si satisfaisant, comment expliquer que AES Corporation, à la date du 7 novembre 2013, signe des accords de la vente de la totalité de sa participation (56%) dans AES Sonel à Actis, un capital-investisseur spécialisé dans les pays émergents, présent en Côte d’Ivoire, au Kenya et en Tanzanie à un montant de 220 millions de dollars (Jeune Afrique Economie) ? Tout ce bilan peut-il donner raison à AES SONEL de titiller l’opinion sur une future augmentation du coût de l’électricité au Cameroun ? « Non », affirme Delor Magellan Kamseu Kamgaing, président de la Ligue Camerounaise de Consommateurs et qui a tenu à se faire entendre sa voix par un sit-in devant l’ARSEL.

Tchakounte Kemayou

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