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Pourquoi au Cameroun Internet a-t-il du mal à décoller ?

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Voici l’entreprise responsable de la décadence au Cameroun

Internet, véritable outil actuellement au centre de toutes les révolutions des nouvelles technologies dans le monde n’est malheureusement pas la chose la plus partagée au Cameroun malgré les progrès réalisés. Même les nouvelles modifications des habitudes de la population devenue de plus en plus exigeante laissent les autorités dépassées. Les consommateurs, abandonnés à eux-mêmes, épanchent quotidiennement leur bile vers les opérateurs incapables de s’arrimer à la nouvelle donne, expriment leur profonde déception aux offres apparemment alléchantes. Mais, que se passe-t-il au juste pour que le Cameroun, comparativement aux autres pays, soit si médiocre en matière de couverture et de flux en réseau Internet ?

Le marché de la téléphonie mobile en baisse

L’arrivée du nouvel opérateur vietnamien Nextel Cameroun a eu un effet positif après son acquisition de la 3G qui est sa principale priorité depuis plus d’un an.Voilà pourquoi la nouvelle bataille des opérateurs de téléphonie est pratiquement concentrée dans l’Internet. Par exemple, l’opérateur MTN Cameroon a, à lui tout seul, engrangé 25 milliards de revenus générés sur uniquement le service Internet en 2014. Par contre, Orange Cameroun, dans ce domaine vient juste de lancer une offre low-cost. Pour ce qui concerne Camtel, seul opérateur public et leader dans le domaine de l’ADSL, on espère qu’il pourra se positionner dans cette bataille des éléphants avec sa branche mobile dans de brefs délais.

Pour revenir à MTN, il faut noter que malgré une baisse de la clientèle, le marché se porte toujours bien : cette entreprise a perdu 1,6 million de clients au quatrième trimestre 2014, mais ce n’est pas grave. Il a mobilisé pendant toute cette année, 1,5 million de clients de plus comparé à l’année 2013. Et son chiffre d’affaires, en hausse de 6 %, a atteint 300 milliards de FCFA (2014). Ce n’est pas le bénéfice net il faut faire attention. Sur ce chiffre, il faut tenir compte de la marge de 42, 5 % qui est le résultat opérationnel, enlever les charges salariales et les autres notamment les investissements et enfin tenir aussi compte de 35 % de l’impôt sur les sociétés.

Qu’en est-il du marché d’Internet ?

En 15 ans, les offres de connexions Internet ont véritablement eu un impact sur les volumes et l’évolution de la clientèle. En 2014, le nombre d’internautes africains a augmenté de 9 %. Malgré la multiplication des offres et des stratégies des entreprises, le taux de pénétration d’Internet en Afrique n’est que de 26 %. Ce qui signifie qu’il y a encore un gros gap à combler. Pour ce qui est du Cameroun, il faut relever qu’en 2000, le nombre d’internautes était seulement de 20 000 et aujourd’hui ce nombre a atteint 1, 4 million (chiffre du 30 juin 2014).

La dernière actualité est celle du renouvellement, par MTN Cameroon, de sa licence d’exploitation de la téléphonie mobile. L’opérateur ISP vient de signer, mardi dernier (10 mars 2014), un nouveau contrat avec le gouvernement qui lui concède, à hauteur de 75 milliards FCFA, l’exploitation en plus de la 2G, de la 3G et la 4G. Avec un projet d’investissement de près de 4 000 milliards, l’entreprise panafricaine de la téléphonie mobile compte d’abord déployer les réseaux 3G et 4G sur plus de 700 sites dans près de 16 villes du Cameroun. L’objectif primordial est de couvrir au moins 75 % de la population.

Ce qui est par contre regrettable, ce sont les coûts d’accès à internet qui sont encore élevés. Selon le journaliste Idriss Linge, deux raisons peuvent expliquer cela : 1-au contraire des services d’appels téléphoniques qui reposent sur des infrastructures déjà amorties, les services des données (surtout les nouveaux) reposent sur des infrastructures qui, soit viennent d’être construites, soit sont encore en construction ; 2-le management de la concurrence coûte excessivement cher. Les opérateurs sont donc encore contraints de pratiquer des prix élevés parce que les volumes de données consommées ne sont pas suffisamment critiques pour couvrir pleinement les charges et les amortissements de l’infrastructure. Ces explications suffisent-elles à convaincre l’opinion sur l’incapacité technique et managériale du Cameroun à satisfaire la demande Internet ? Comment la présence de trois multinationales et d’une entreprise publique, acteurs majeurs, en forte concurrence sur le marché ne donne-t-elle pas la possibilité de faire des offres alléchantes et grand public ? Pourquoi, malgré ce boom démographique du marché, Internet est et reste toujours considéré comme un produit de luxe ? En 2009, le ministre d’Etat des Postes et Télécommunications d’alors, l’avait bien compris et avait même proposé une solution.

La nécessité de la construction et de la gestion d’une fibre optique (FO) s’impose

Le 26 janvier 2009, sous la présidence du premier ministre, Inoni Ephraim, Bello Bouba Maïgari, ministre d’État des Postes et Télécommunications, plaide pendant le Conseil de ministres pour la création d‘une structure en charge des infrastructures des télécommunications au Cameroun et plus particulièrement de la fibre optique. Le ministre avait donc saisi l’occasion pour présenter l’état des lieux du réseau des télécommunications en ces termes :

Le pays présente donc une section transport de signaux entre villes et vers l’international, appelée backbone, combine généralement trois éléments : le faisceau hertzien, le satellite et la fibre optique. Pour le moment, notre backbone national est constitué en grande partie par le faisceau hertzien qui non seulement est éclaté, chaque opérateur ayant son propre réseau, d’où le prix élevé des communications, mais en plus offre de très faibles capacités au regard des besoins nationaux. Le satellite est très coûteux pour le transport interurbain des signaux de télécommunications. […]. La fibre optique est le meilleur moyen de transport de communication en termes de qualité, de communications, de capacités offertes, de coût d’exploitation et de durée de vie. […]. Pour réaliser ce réseau de manière économique et efficace, il est nécessaire de créer une société d’infrastructure qui aura la responsabilité de construire et d’exploiter cette infrastructure. C’est pourquoi la création de Sitelcam qui assumera ce rôle revêt pour moi un caractère essentiel. Les études de faisabilité afférentes montrent la rentabilité de cette entreprise. Sitelcam donnera à l’État le moyen de contrôler les communications internationales et donc de mieux assurer sa sécurité et sa souveraineté, ce qui est observé par ailleurs dans les pays aussi libéraux que les États-Unis.

La problématique de la fibre optique (FO) au Cameroun

L’État, via Camtel, son bras séculier dans le secteur, en l’absence d’une véritable société de patrimoine (Sitelcam) a choisi de botter en touche les conseils du ministre Bello Bouba. Il faut le préciser ici : Camtel, opérateur de téléphonie au même que MTN, Orange et Nextel, est l’entreprise qui est de fait censée gérer la FO en construction. Sitelcam avait été pourtant pensé à dessein afin d’éviter une probable concurrence déloyale. L’impressionnant niveau de pénétration de la fibre optique, plus particulièrement à Douala et à Yaoundé, peut constituer actuellement un atout très positif en vue de développer une connexion internet à haut débit et de masse. Mais alors, qu’est-ce qui fait problème ?

Beaucoup d’experts en informatique et en télécommunication sont formels sur ce point : le blocage n’est pas technique, mais plutôt politique. Le politique est seul à avoir la capacité et le pouvoir de prendre la décision qui s’impose pour démocratiser l’accès à l’internet. Le salut de ce secteur va – nécessairement – passer par la levée de la mainmise de Camtel sur la FO au profit d’une entité (ad hoc) plus neutre et la refonte des tarifs d’accès à la bande passante pour les ISP. Pourquoi n’opterons-nous pas vers la création d’une coopérative ou d’une société commune chargée de gérer la FO avec présidence tournante ? Ce ne sont donc pas les idées qui manquent. Il faut le dire pour le décrier, les « gens proches du dossier », supposés être des conseillers avisés auprès de nos gouvernants, sont de véritables pêcheurs en eau trouble. Ils ont réussi à faire prospérer la thèse selon laquelle « l’ouverture » de la FO allait entraîner le chaos sur le plan sécuritaire. C’est une théorie qui prospère depuis plusieurs années, et à laquelle nos dirigeants semblent être malheureusement sensibles. La vérité est que ces « gens proches du dossier » tirent des dividendes de cette surenchère sécuritaire et ce statu quo les arrange. En conclusion, soit le politique se fiche de l’essor d’Internet au Cameroun, soit il a compris qu’Internet amplifie de trop la revendication démocratique et met en danger son pouvoir. Et pourtant…

… Quand la fibre optique passe, le développement suit

Quand la route numérique passe (la FO), le développement numérique suit. Quel développement, personne ne peut le prédire, tout comme personne ne prédisait le prépayé en Afrique, ni le mobile money, ni le SMS banking. Tous ces usages ont apparu avec la disponibilité de la bande passante.Tant qu’on aura l’Internet vendu « au kilo », au « volume », quelle qu’en soit la nature de l’offre, ça restera cher et ça ne permettra pas d’entrer dans l’ère du service, est celle qui permet de véritablement tirer profit de la technologie, et surtout, de faire éclore les talents. La disponibilité de la bande passante libère la créativité et par conséquent, crée les usages. Si le client est stressé par le « crédit » chaque fois qu’il se connecte à l’internet, alors, que peut-il y faire de bon, si ce n’est de papillonner ici et là et repartir très vite ? On a souvent parlé du génie et de l’inventivité des Camerounais et en ce domaine, leur potentiel n’est même pas encore effleuré. Avec toutes les offres que nous avons sur le marché en ce moment (excepté l’ADSL de Camtel), impossible de faire du streaming musique et vidéo (regarder la télé ou un film et écouter de la musique en ligne et en direct). Même si certains ISP le proposent, ont-ils réellement la bande passante pour cela ?En tous les cas, au Cameroun, même avec l’ADSL, il faut « saigner » vraiment financièrement pour avoir droit à une connexion de qualité.

Il faut libérer la bande passante, et permettre à la jeunesse d’exprimer sa créativité. Rien de pire que de devoir stresser par rapport à son crédit, par rapport au débit, par rapport aux coupures, etc. Pour créer, inventer, on doit avoir l’esprit libre qui est nécessaire et vital pour que la jeunesse, constituant plus de 60 % de la société, puisse donner le meilleur d’elle-même. C’est l’une des solutions majeures pour résoudre le problème de chômage, car les nouvelles technologies sont, à l’heure actuelle, considérées, comme le soulignait encore le ministre Bello Bouba, « la deuxième industrie mondiale, juste après le pétrole ».

NB : Ce billet est une synthèse des interventions des journalistes spécialisés et experts du domaine à la suite d’une discussion dans le forum camerounais 237Média entre Lydie Seuleu, Idriss Linge, Tane Rostand, Eric Dibeu, Jean-Vincent Tchienehom et Nino Njopkou.

Tchakounté Kémayou

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