Guérandi, grand frère, où es-tu caché ?
Très tôt ce dimanche 14 septembre 2014, je me réveille à 7h (heure locale) comme d’habitude. Après un bref tour dans les toilettes et hop, je rallume mon poste radio que j’avais éteint la veillé en dormant. C’est RFI qui était ma priorité compte tenu du fait que les radios locales sont pratiquement en berne chaque dimanche. A 7h30, RFI Afrique dévoile l’invité du jour : François Soudan, le directeur de rédaction de Jeune Afrique, qui annonce une grande nouvelle considérée comme « top secret » à la Une du magazine dès le lendemain, 15 septembre 2014 : « Cameroun : le fantôme d’Etoudi ».
La grande nouvelle de François Soudan ? C’est l’arrestation de Guérandi Mbara. Il a été arrêté et transféré au Cameroun depuis 2012 et reste introuvable jusqu’aujourd’hui. Livré comme un « colis » aux mains des agents des services de renseignement camerounais entre Pouma et Edéa. Mais François reste évasif sur le sort qu’on t’a réservé. Perdu et confus, j’appelle donc quelques amis journalistes pour me rassurer que mes sens ne me jouaient pas un sale tour. Je suis malheureusement plus confus qu’avant car personne d’eux n’était au courant de la nouvelle. Un petit tour dans les réseaux sociaux : Rien ! Mince. Je suis complètement déboussolé. Je tente de diffuser la nouvelle dans mon compte twitter et facebook, je me ravise à la dernière seconde craignant d’être taxé plus tard de personnes complice de la diffusion de fausses informations. Et l’information de RFI continue de passer en boucle. A 10h, un « forumiste » de la diaspora a eu le courage de diffuser la nouvelle et c’est de là que tout à commencer, les langues se sont déliées.
Guérandi, grand frère, où es-tu caché ?
Le public camerounais t’a connu au lendemain du coup d’Etat manqué du 6 avril 1984 où tu étais, dit-on, soupçonné d’être l’un des commanditaires avec le feu président Amadou Ahidjo qui voulait reprendre « son » trône après l’avoir quitté. C’était en 1982 que Paul Biya pris les rênes du pouvoir par la grâce constitutionnelle qui le considérait comme le successeur après une démission ou une vacance de la présidence constatée par le parlement. Commence alors la chasse aux ressortissants des régions du Nord Cameroun. Pourquoi ? Parce que dans ce pays nommé Cameroun, on a développé le complexe tribal à tel enseigne que la tribu est devenue une stigmatisation. Comme le feu Ahidjo et toi, originaires des régions du Nord, tous les ressortissants de ces régions sont vos complices. Un simple barbu vêtu d’un boubou rencontré dans les rues, surtout à Douala et à Yaoundé, était stigmatisé et bonjour les dégâts. Peut-être le régime espérait mettre la main sur toi pour te « liquider » comme il l’a fait pour beaucoup de Camerounais de ta région d’origine en leur faisant subir les tortures les plus atroces dans les locaux du fameux CENER qui est devenu actuellement le SED sans oublier par exemple la célèbre et sinistre prison de Tcholiré dans le Nord. C’est là où tous les opposants au régime de Ahidjo et de Biya à l’époque du parti unique comptaient leurs derniers jours sur terre. Et aussi là où quelques célèbres détourneurs de deniers publics, membre du parti au pouvoir (RDPC) et grands commis de l’Etat, subissent leur sort. Peut-être es-tu dans ces locaux aussi ?
Guérandi, grand frère, où es-tu caché ?
Après ce coup d’Etat manqué, tu as pris la poudre d’escampette. Les langues disent que tu as promis à Biya une fessée mémorable à la dimension de sa tyrannie. Tu faisais même le tour du monde pour trouver, semble-t-il, le piège par lequel le Lion de Mvomeka sera pris. Finalement c’est toi qui es tombé dans ton propre piège, ou bien ? Pardon, dis-nous ce qui t’arrive mon frère. Tu as donné l’espoir à certains jeunes Camerounais, comme moi, qui se sont ravisé sur ta modeste personne en te jugeant très tôt sans avoir pris la mesure du problème. En toi, certains voyaient l’homme qui fera l’une des personnalités les importantes dans le paysage socio-politique de l’heure dans un conteste de démocratisation et de lutte contre le néocolonialisme. Tes propositions pour l’avenir de ce pays étaient attendues de vive voix. Mais, hélas ! A malin, malin et demi, comme diraient ceux qui maîtrisent les tacles-arrières de l’homme Lion qu’est Biya.
Guérandi, grand frère, où es-tu caché ?
Comment un militaire haut gradé, un rusé de surcroit peut-il se faire prendre comme un vulgaire bandit ? Comment un acteur peut-il mourir dans son propre film ? Jeune Afrique dit que tu aurais été drogué dans le jet privé qui te transportait pour le Cameroun. Donc le tyran Biya a organisé une opération onéreuse de ce genre dans le but de te kidnapper par une tacle-arrière ? Georges STARKMAN, le marchand d’armes et PDG de la société ERKIS a déclaré qu’il a accepté cette sale besogne payée à prix d’or pour éviter la guerre au Cameroun. Donc, un marchand d’armes se bat déjà pour éviter les guerres ? Mon Dieu ! Je vais tout lire dans ce pays.
Guérandi, pardon répond-moi. Es-tu en vis ou es-tu entre les mains des geôliers au mépris de la justice et en violation des règles de l’Etat de droit ? Pourquoi n’a-t-on pas simplement respecté la justice comme le font les autres Etats lorsque ceux-ci avaient besoin des « hors-la-loi » afin que justice soit faite ? Pour ne citer que les plus célèbres : « La France avait bien capturé Carlos au Soudan en 1994 par une opération secrète, mais une fois sur le territoire français le prisonnier a été remis à la Justice qui a ouvert une procédure légale et décidé de son sort ; La Turquie avait capturé Abdullah Öçalan au Kenya et une fois ramené en Turquie c’est la Justice qui l’a pris en charge en toute transparence ; Israäl avait capturé Adolf Eichmann en Argentine en 1960 et une fois en Israël c’est la Justice qui l’a jugé et condamné à mort. On peut multiplier les exemples » (Roufaou Oumarou). Avec cette arrestation et celui de l’écrivain Enoh Meyomesse, accusé de trafic d’or et de préparer un coup d’Etat, en prison depuis plus de deux ans sans jugement, le Cameroun est en train de faire et a fait un retour très inquiétant vers les pratiques obscures en vigueur sous Ahidjo à l’époque et les faiseurs d’opinions semblent dépassés. Inquiétant.
Guérandi, grand frère, où es-tu caché ?
Beaucoup crient à la manipulation. Mais, qui manipule qui alors dans tout cet embrouillamini ? Manipulation parce que d’un, cette information qui vient d’un média étranger par l’Occident est une preuve que cela fera la une de tous les médias nationaux. Ça a donc été un pari réussi. De deux, cette manipulation peut avoir un but précis : si elle vient du régime, son but serait d’avoir l’opinion des Camerounais que nous sommes sur ta mort présumée. Ton sort ne sera scellé qu’en fonction de la sympathie ou de l’antipathie du public. Le but est-il atteint ? Nul ne peut le savoir car, les Camerounais semblent plutôt mitigés et surpris pour ceux de la classe moyenne. Mais, les jeunes de moins de 30 ans, la majorité et diplômés que Biya a abandonné dans la débrouillardise, la mendicité et la clochardisation, ne te connaissent vraiment pas. Ceux-là cherchent encore dans leur souvenir qui se cache derrière ce personnage de Guérandi Mbara, car même les leçons d’histoire enseignées à nos cadets t’ignorent éperdument. Il suffit de faire un tour dans les kiosques à journaux pour les voir éberlué comme des fous affamés. D’autres encore pensent que la manipulation viendrait de toi et de tes amis et sympathisants. Pour quel but ? Certainement pour mettre en alerte le pouvoir de Yaoundé afin qu’il s’explique sur ce qui s’est passé au cas où tu serais disparu et prévenir toute exécution extrajudiciaire au cas où tu serais en vie.
Grand frère, tu vois comment tu fais réfléchir le journaliste Christophe Bobiokono et moi avec en nous imposant toute sorte de gymnastique intellectuelle ? Je perds les pédales dans les conjectures en pensant véritablement que le courageux et combattant guerrier soldat Guérandi Mbara ne sera plus visible. Ton frère aîné cadet que nos journalistes ont contacté a avoué ne pas avoir tes nouvelles depuis deux ans ! Connaissant les habitudes de la famille africaine, comment ta propre famille peut-elle perdre tes traces pendant deux ans sans rien dire, connaissant ce que tu représentes pour le Cameroun ? Le quotidien « Le Jour » a affirmé à sa Une d’aujourd’hui que le gouvernement ne tardera pas à donner sa position officielle. Je suis vraiment impatient d’avoir enfin la version officielle. Si elle ne règle pas le doute sur ta disparition, j’aurais de forte raison de penser que les méthodes des services secrets qui traquaient les libres penseurs pourraient un jour cibler les blogueurs dont je fais partie. Quelle sécurité puis-je encore être garantie pour mes idées contre un régime qui m’a presque martyrisé, a volé ma jeunesse et a fait de moi un doctorant clochard, excuse du peu. Avec l’avènement des réseaux sociaux, il faut vraiment craindre, oui craindre du pire car, le Cameroun est capable du pire surtout en ces moments difficiles où la secte Boko Haram donne du tournis à tout le monde.
Guérandi, grand frère, en espérant que tu liras cette lettre du fond du trou où tu te caches, car j’ai encore espoir que tu vives, j’ai encore espoir que le régime ne pourrait atteindre cette bassesse, prend soin de toi et ne me renvois pas au répondeur.
Guérandi, répond-moi.
Tchakounte Kemayou
Commentaires