De retour de Yaoundé où je me trouvais pour un problème de passeport camerounais que je n’ai pas pu résoudre (J’y reviendrai dans les détails dans un billet), les commentaires fusaient de partout pendant une discussion que j’avais engagée avec mon co-voyageur de siège. Il avait ouvert un site (www.investiraucameroun.com) où l’information selon laquelle l’entreprise de transport interurbain par rail au Cameroun, CAMRAIL (Cameroon Railway) lancera son train Inter-city ce lundi 5 mai 2014 qui va relier pour un premier temps Douala et Yaoundé. J’ai d’abord ri à gorge déployée on aurait cru à un porc sentant sa mort venir. Ce qui a attiré l’attention des autres voyageurs qui se sont demandés s’ils ne se sont pas trompés de car.
« Quelle sauvagerie ! ». S’exclama mon co-voyageur qui n’arrivait toujours pas à comprendre ce cri si indisposant. A dire vrai, rien n’est fait au sérieux dans ce pays. Même les petites études de marchés que les étudiants de BTS appliquent avec modestie échappent toujours aux esprits lucides et clairvoyants que ce Cameroun regorge. C’est cette conclusion tirée à la suite de l’article qui justifie ma sauvagerie, je l’avoue.
En 2013, CAMRAIL, entreprise camerounaise mise en concession au profit du groupe Bolloré Afica Logistic, -voilà-ça ! Encore les Français !-, annonce à grande publicité l’achat et la réception de 40 voitures voyageurs pour un investissement total de 11,2 milliards de francs Cfa. Waouh ! Quel pactole ! Ça doit être des trucs luxueux le genre qui rend aveugle-là. Mais, quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai vu ces wagons manutentionnés au port de Douala. La chinoiserie ancienne. Une technologie déjà démodée à 11,2 milliards ? Non, pas vrai. Mais, l’objet de ce billet n’est pas la chinoiserie. C’est plutôt la stratégie de marketing mise en place par CAMRAIL qui m’intrigue. Tenez : L’entreprise parle de train à grande vitesse avec une distance de 265 Km entre Douala-Yaoundé de 6h00 à 9h40, donc en 3 heures 40 minutes. Quand j’apprends que Paris-Bruxelles c’est 308 km et Le Thalis fait 1 heure entre ces deux villes, je peux pleurer jusqu’au matin, hein. Restons un peu ici au pays : les agences de voyage par route proposent l’option VIP ou PRESTIGE à 3h30mn. Avec un peu de chance, en fonction de l’affluence sur l’axe routier, le voyage peut durer 3h seulement. C’est donc quoi cette histoire de train à grande vitesse avec la chinoiserie de l’autre siècle ? Vous comprenez pourquoi j’ai ri, n’est-ce pas ? C’est la première incongruité.
Une autre incongruité, et pas la moindre : « Selon Camrail, l’Intercity assurera quatre rotations journalières entre les capitales économique et politique du Cameroun, dont deux départs à Douala à 6h et 14h 45 mn, puis deux départs de Yaoundé, à 10h 25 mn et 19h 20 mn ». Les agences de voyage routier les plus populaires proposent un minimum de 5 voyages pour Douala et pareil pour Yaoundé avec une différence de 15 à 30 minutes d’heure de départ pour les 2 villes. La logique voudrait qu’il y ait la même heure de départ pour le premier voyage de la journée pour Douala et pour Yaoundé. Sinon, il faut une analyse sociologique pour connaitre les raisons qui poussent les Camerounais qui les obligent à aller à Yaoundé et à programmer son voyage plus tôt que ceux qui voyagent pour Douala. A ma connaissance, aucune raison particulière ne peut justifier ces différences d’horaire de départ des 2 départs de la journée. L’affluence dans les gares routières et agences de voyage de Yaoundé est un argument suffisant pour voir cette incongruité de CAMRAIL. A moins d’ignorer les objectifs et les motivations réels de l’entreprise, ces horaires sont conçus par élégance, par suffisance.
La troisième incongruité, c’est la tarification. « Les passagers de l’Inter-city, apprend-on, devront respectivement débourser 9000 et 6000 francs Cfa, pour la première classe (voitures climatisées) et la classe prémium (voitures ventilées) ». Voilà où mon rire a failli précipiter ma crise asthmatique. A vrai dire, jusqu’ici, je cherche ce qui me motiver à entrer dans ce « train à grande vitesse » je ne vois pas. Les agences de voyage routier proposent 2000Fcfa à 3000Fcfa pour le même service que propose l’Inter-city à 6000Fcfa et 6000Fcfa à 7000Fcfa pour le même service que propose l’Inter-city à 9000Fcfa. Voilà où CAMRAIL devrait attraper les Camerounais, champions du moins cher dans le piège. En marketing, mes modestes lectures m’enseignent que le prix ou le coût d’une marchandise ou d’un service est le « piège » pour « attraper » les clients comme une lionne attrape sa proie. Pour bien comprendre comment une entreprise peut rendre la vie difficile à une autre concurrente voire précipiter sa mort à travers la politique de ses prix. Un exemple camerounais pour illustrer cette théorie c’est la bataille des prix sur les boissons gazeuses entre les entreprises « Les Brasseries du Cameroun » détenue par les Français et « Union Camerounaise des Brasseries » détenue par les camerounais contre « Source du pays » détenue par les Libanais qui disent venir casser le monopole et l’inertie des Français et des Camerounais sur ces produits. « Casser » le prix c’est « rendre le produit ou le service accessible au grand nombre ». « Source du pays » a joué sur la quantité et non la qualité de ses boissons. L’argument du coût du transport est plus important que celui de du temps du voyage. Plus récemment, le soudan du Sud, pays en guerre, qui vient d’obtenir des trains plus sophistiqués et plus luxueux que ceux du Cameroun a joué sur le prix par rapport aux concurrents : « Le Nile Train dessert Khartoum, la capitale, à Atbara, une ville située à 300 kilomètres au nord. Et le trajet dure 6h40, soit deux fois plus qu’un voyage en bus. Et les populations semblent ravies, d’autant plus que le prix d’un voyage revient à six dollars, deux fois moins qu’un ticket de bus » (www.slateafrique.com). Pourquoi les Soudanais, pour moderniser leur chemin de fer avec le même métrique que celui du Cameroun, commande des trains rapides chinois différents des nôtres et qui a coûté 13 millions de dollars seulement !
L’entreprise croit dure comme fer que les arguments de sécurité et d’hygiène pourront jouer en leur faveur. En effet, « Le lancement du train rapide entre Yaoundé et Douala participe de la lutte contre les accidents de la circulation sur cet axe routier, en particulier, et au Cameroun, en général ; le train étant un moyen de transport plus sécurisé que les véhicules ». Comme mesures d’hygiène et de confort, dans le train il existe des cabines climatisées (Pour la première classe) ou des cabines ventilées (Pour la classe prémium), toilettes, rafraîchissants à bord, téléviseurs, voitures neuves, salle d’attente climatisée, sièges auto-réglables…) que les cars des agences de voyage de transport interurbains n’ont pas. Ces arguments sont-ils suffisants pour mettre les concurrents à ses pieds ? Non ! D’autant plus que, même si sont des arguments de poids, il est serait illusoire de penser que les concurrents seront dos au mur comme le sont SABC qui a été obligé de s’adapter aux produits du concurrent.
Je termine ce billet par une analyse intéressante d’un internaute sur la question de la stratégie commerciale de CAMRAIL : « Le seul argument de la sécurité ne suffit pas pour changer les habitudes de consommation des Camerounais. Sait-on simplement le nombre de risques que les Camerounais prennent par jour pour survivre? Même pas peur pour le bus surtout qu’il suffit de lancer une fuite d’information selon laquelle le train pourrait dérailler suite à la vétusté des rails. Cette info fera plus peur au Camerounais que les dangers de « l’axe lourd ». Aussi, lorsque les Camerounais penseront que le train pourrait ne jamais arriver à destination à cause des pannes comme c’est fréquemment le cas sur le tronçon Yaoundé-Ngaoundéré, alors personne n’ira monter dans ce truc alors qu’il a le choix de rejoindre Douala ou Yaoundé en 3 h. Je suis très étonné par la stratégie commerciale de Camrail ».
Bon week-end !
Tchakounte Kemayou
Commentaires