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Au Cameroun, la guérison est une marchandise

Loin de moi l’idée de faire un réquisitoire des médecins et des hôpitaux camerounais, mais il y a lieu ici de dresser un tableau sommaire des expériences de mes observations personnelles sur le mode de fonctionnement et le comportement du corps médical. L’État, avec sa superstructure, est la seule autorité garante du processus de formation et de l’insertion professionnelle des jeunes médecins. C’est le seul corps professionnel dit libéral que l’État contrôle en amont comme en aval. C’est dire l’intérêt et les enjeux divers qu’a la profession de la médecine dans ce pays. La responsabilité des médecins ici ne doit engendrer aucune haine. Ceux-ci évoluent dans un environnement pervers et cynique qui les met sur le banc des accusés face à leur incapacité à répondre favorablement et humainement à toutes les sollicitations. Mais ce n’est pas une excuse non plus. Devant une telle pauvreté ambiance, à laquelle ils n’échappent pas eux non plus, ils font partie d’une société où l’assurance maladie universelle n’existe pas, sans parler d’ambulance. Du coup, l’hôpital devient un lieu où l’orthodoxie et l’éthique sonnent comme des slogans creux.

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L’entrée de l’hôpital Laquintinie de Douala. La caisse n’est pas loin.

Les hôpitaux ne sont pas seulement des fournaises…

Bien que le cas de Monique Koumatekel soit isolé, il est évident que c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Pas plus tard que le mois dernier, une dame a fait l’objet d’un refus de prise en charge pour défaut de liquidité à une heure tardive du week-end. Pour cause, son assurance ne pouvant intervenir qu’aux heures ouvrables. Le fait que cela soit arrivé à un médecin a sidéré l’opinion publique, forcée de constater que même un membre du corps médical n’est pas en sécurité. C’est le moment de mettre en exergue les pratiques, aussi extraordinaires les unes que les autres, qui font partie du quotidien de nos hôpitaux, tant publics que privés.

Chaque hôpital doit supporter certaines charges et assurer son autonomie financière, parfois sans l’apport de l’État supposé les subventionner. Dans ces conditions, une habitude mercantile se développe au sein des salles d’hospitalisation. La non-solvabilité de certains patients après traitement amènent le corps médical à devenir rigide et sans état d’âme. Le leitmotiv devient donc : « payer avant d’être guéri ». Les hôpitaux camerounais sont réputés pour être des endroits où règne un climat de méfiance vis-à-vis du corps médical et des malades. Depuis la fin de l’État providence, dans lequel il existait encore une assurance médicale alimentée par l’État, les entreprises d’État et les multinationales, tous les Camerounais sont appelés à financer eux-mêmes leur santé. Les plus nantis souscrivent à une assurance privée à défaut d’une évacuation sanitaire. Du coup, tout devient payant, même pour réconforter un malade hospitalisé qui a besoin de la chaleur humaine de sa famille et de ses amis.

À l’entrée de chacune des officines de la ville, le premier bureau que chaque malade rencontre est celui de la caissière. Parfois, celle-ci a son bureau prêt de la guérite. Parfois, elle partage carrément son bureau avec celui du vigile. Généralement, c’est la guérite, bureau du vigile, qui tient lieu de services de renseignement. Cette disposition est semblable à celle qu’on trouve dans une boulangerie ou un supermarché, en fait. À la seule différence que les clients des hôpitaux sont des malades qui viennent se racheter une santé. Dans chaque hôpital sans exception, il faut payer au minimum 1000 FCFA avant la première consultation, ne serait-ce que pour avoir droit au carnet et au thermomètre. Après ce paiement, il faut ensuite passer aux frais de consultation, qui varient d’une officine à l’autre. Au Cameroun, elles se situent officiellement entre 600 et 6000 FCFA du simple dispensaire de district à l’hôpital de référence public. Pour les cliniques, il faut prévoir entre 10.000 et 15.000 FCFA pour rencontrer un généraliste ou un spécialiste. Les montants varient donc selon les standards des hôpitaux. Mais, à Douala les officines comme Laquintinie et l’hôpital Général de Douala, et bien d’autres dont les noms m’échappent, se distinguent par les frais d’accès. Même si vous ne venez pas pour une consultation, vous devez passer à la caisse. Rien n’est donc gratuit, même pour rendre visite à un proche malade.

… mais des lieux où règne l’impunité et la méfiance     

Pourquoi sur tous les scandales que le Cameroun a connus jusqu’ici dans ses hôpitaux, aucun médecin, infirmier ou aide soignant n’a-t-il été condamné ? Je n’ai pas de griefs envers un médecin particulier, mais il est inconcevable qu’il n’y ait pas de brebis galeuses dans l’ensemble d’un corps de métier.

Je suis d’ailleurs persuadé qu’il existe des sanctions administratives dont l’opinion publique n’a pas connaissance. J’aimerais seulement comprendre pourquoi, sur tous les scandales qui ont défrayé la chronique au Cameroun au point d’inquiéter le pouvoir en place (vol ou disparition de bébés, non-assistance, négligence, erreur ou faute médicale ayant entraîné de nombreux décès), aucun médecin n’a jamais été pointé du doigt, ni inquiété, pour ne pas dire condamné ?

Pour bien illustrer mes propos, je prends un simple exemple de scandale pour lequel les coupables avaient même été soupçonnés par la presse locale. Ils ont connu la fin de leur carrière à la suite de la preuve de leur culpabilité. Chaque fin d’année scolaire, l’Office National du Baccalauréat relève des fraudes aux examens de fin d’année. On sait très bien que le ministre de l’Enseignement Secondaire a été obligé de signer des décrets pour sanctionner les enseignants coupables de ces délits. La plupart sont carrément suspendus s’ils ne sont pas tout simplement révoqués du corps pour avoir fait fuité des épreuves, parmi d’autres motifs d’accusation. Pire encore, les enseignants ne sont pas les seuls indexés. Les sanctions touchent aussi ces élèves surpris en flagrant délit de fraude et de tricherie. Mais, ces mouvements de sanction à la suite des scandales n’ont jamais été mis à l’ordre du jour de l’Ordre National des Médecins comme ça l’a été à L’Office National du Baccalauréat. Pourquoi les médecins sont-ils couverts ?

Pour ne pas conclure

Difficile de sanctionner, de radier, d’emprisonner un médecin, pour la simple raison raison qu’il s’agit d’un corps de métier protégé. D’une part, pour être médecin dans un hôpital public, il faut être le fils, le neveu, la nièce, le cousin ou le petit-fils d’untel. Et si vous êtes médecin et que vous avez réussi à entrer dans le corps sans coup de pouce ou relation filiale, vos collègues ou confrères « fils de » vous couvriront en cas de scandales. Solidarité de corps oblige, dira-t-on.

D’autre part, il existe une telle méfiance entre les gens du corps médical que vous risquez votre vie si vous dites une vérité qui pourrait mettre en difficulté soit l’établissement hospitalier qui vous emploie, soit le ministre de tutelle, ou bien un autre collègue ou confrère. Les scandales médicaux ont des enjeux politiques qu’il serait astucieux de démystifier ici, car il devient difficile, pour les médecins, de s’exprimer à visage découvert pour donner son avis d’expert devant un drame médico-social. Il en va de sa sécurité et de sa carrière professionnelle.

De toutes les façons, un diplôme en médecine n’est pas même comparable à une simple licence de littéraire dont dispose un enseignant de la langue française par exemple. Pour avoir un diplôme en médecine, que vous soyez au Cameroun ou à l’étranger, il faut investir au minimum 1 million de FCFA par an de formation, sans oublier les frais de logement, de nutrition, de transport et de documentation. Si vous faites un calcul simple, vous vous rendrez compte du montant déboursé par chaque médecin au bout de 7 ans de formation. L’emploi doit donc être préservé pour amortir ses investissements. Ça ne rigole donc pas quand on est médecin au Cameroun. Vous la fermez ou vous dégagez. On fait tout pour s’accrocher bec et ongle.

C’est la raison pour laquelle tous les scandales qui ont lieu dans les hôpitaux, surtout publics, seront toujours sabordés par le politique pour camoufler la vérité. Ce week-end noir de Douala va passer sous silence, on étouffera l’affaire et puis la vie hospitalière reprendra son cours. Seulement, comme lors d’un braquage, les voleurs laissent toujours des traces.

Pour revenir au cas de la regrettée Monique, je ne cesserai jamais de me poser les plus simples des questions, aussi bêtes soient-elles, à savoir :

– Comment le corps de madame Monique Koumatekel a-t-il réussi à traverser l’entrée principale de l’hôpital Laquintinie sans que le service d’accueil l’accueille avec le brancard pour le conduire à la morgue, si tant est que cette dame fût déjà décédée (comme nous le martèle le ministre de la Santé publique, Mama Fouda) ?

– Comment un corps d’homme, soi-disant inerte, peut-il être trimbalé dans un taxi à l’intérieur d’un hôpital de référence ?

– Comment comprendre l’attitude d’un médecin qui ordonne à la famille de déposer le corps inerte d’une dame enceinte sans avoir pris le soin d’extraire du ventre les foetus qu’elle portait encore ?

À cette dernière question, je dois être formel : si la famille avait eu quelques billets de banque à proposer au médecin en service, ce scandale n’aurait pas lieu. Quoi qu’on en dise, quelle que soit la version, fabriquée ou non, c’est à partir de là, à ce niveau-là, permettez-moi d’insister, que commence la négligence doublée de défaillance de responsabilité de l’hôpital Laquintinie.

La génération tête baissée décide parfois de lever cette tête… les week-ends noirs comme ce que je viens de vivre à Douala, il y en aura toujours, encore et encore.

Tchakounte Kemayou

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Commentaires

Anne Christelle
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Interessante lecture. Moi je crois qu'il est possible que Monique ait été décédée et ça repose aussi le problème de la responsabilité des familles et des uns et des autres dans la gestion de leur maladie.
On est à l'intérieur d'un cercle vicieux où personne ne se remet plus en question. Moi ce que je me demande réellement c'est admettons même que le système de santé soit modifié dès demain, est-ce que les Camerounais arrêteront de chercher leur bénéfice perso. Y en aura t-il toujours pas qui voudront flouer le système pour leurs propre compte (comme c'est le cas dans les assurances maladies payantes et ayant rendu ces assureurs trop durs avec tout le monde)?
La notion de CITOYEN demeure je pense la plus importante à définir au Cameroun. Nos dirigeants ne sont que les reflets du pire de nous, et beaucoup d'entre nous, estiment d'ores et déjà que ce pire est le meilleur. Monique a "éveillé" les consciences mais retombera dans le silence bien vite. La santé fait peur, mais les taux de réussite exécrables aux examens devrait tout autant nous faire peur, comme la fraude à l'entrée des grands concours mais au final, tout le monde s'en fout et c'est bien là le drame.

Yves Tchakounte
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Anne Christelle, c'est vrai que la famille a aussi une part de responsabilité, comme l'hôpital et l'Etat en a aussi. C'est ce qu'on appelle "responsabilité partagée".

Je pense sincèrement que faire allusion à ça c'est, en quelque sorte, fuir ou esquiver le vrai problème. Il y a même un autre débat autour de l'heure exacte du décès de Monique: tantôt c'est à la maison, tantôt c'est à l'hôpital de district de Nylon (Tergal), tantôt c'est à Laquintinie. Non, il ne faut pas susciter les débats inutiles. Le seul responsable de ce drame c'est l'hôpital Laquintinie et son propriétaire (l'Etat). Il n'y a pas de responsabilité partagée ici. Non. Quand un citoyen Lambda ouvre une boutique sans payer l'impôt le fisc vient le sceller. Là, c'est le citoyen qui a tort. Mais quand il est malade il meurt par manque de système de santé fiable, ça devient une responsabilité partagée? Non, trois fois non. Que chacun assume.

Merci pour ta réaction Anne Christelle!

kone seydou
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Salut yves, aux beaux souvenirs de dakar. Le tableau sanitaire que tu peins n'est pas loin de celui de ma tres chere cote d'ivoire sauf qu'ici les autorités ont l'art de la dissimulation pour faire paraitre les choses sous un meilleur jour

Yves Tchakounte
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Vraiment Dakar! Quels beaux souvenirs! Il faut dire simplement que, pour parler du cas de la Côte d'Ivoire, l'habit ne fait pas le moine, mais le moine fait l'habit. Comme pour dire qu'importe l'habillement ou "l'art de dissimuler", pour te citer, le fond reste le même.
Peace and Love!!!

Serge
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De mon point de vue, c'est là le résultat de quelque chose de plus structurel: ou comment le capitalisme fait de NOUS TOUS des êtres sans humanité, la seule valeur qui reste dans notre monde, c'est l'argent.